Paul me dit : « Rébéka est comme ça. Quoi que tu fasses, elle restera comme ça ! »
Le moins que l’on puisse dire est que la jeune femme n’a aucune grâce à ses yeux. OK… C’est son point de vue… Sa thèse.
Je lui demande quand même : « Tu penses vraiment qu’elle ne changera jamais ? »
– « Non ! Jamais. Même si elle te donne le sentiment d’avoir mis de l’eau dans son vin ou d’avoir évolué en bien, elle restera la même toute sa vie. Méfie-t’en ! »
De ce très bref dialogue surgit une idée que je trouve intéressante. La voici :
Je remarque qu’il y a une similitude entre le fonctionnement de Paul et les psychothérapies dont on dit qu’elle ne sont pas scientifiques dans la mesure où elle sont irréfutables.
Vous allez comprendre ce qu’il faut entendre par « irréfutables ».
Quoi que fasse ou dise Rébéka, Paul fera en sorte que son opinion à son sujet soit toujours valable. De même, dit-on que la psychanalyse (par exemple) retombe toujours sur ses pattes. Sa thèse première ? Il existe un Inconscient personnel et relativement à cette hypothèse, votre psychanalyste pourra toujours dire que vous faites ceci ou cela pour une raison qui vous échappe.
Si j’en reviens au point de vue de Paul sur Rébéka, tentez de lui prouver qu’il se trompe sur elle, vous l’entendrez vous dire qu’elle vous a bien eu et qu’elle est d’autant plus ce qu’il en dit qu’elle est parvenue à vous faire changer d’avis. Dites à un psychanalyste que vous ne croyez pas un mot de ce que Freud a écrit et vous serez considéré comme l’exemple même des personnes qui devraient entrer en analyse. Votre suspicion à l’endroit de la théorie freudienne est une raison suffisante pour être illico muté en un patient idéal.
Si, selon le philosophe Alain Boyer : « Une connaissance scientifique doit pouvoir être exactement et intégralement transmissible par un discours », il est clair que les psychothérapies en général ne sont pas scientifiques dans la mesure où elles s’appuient le plus souvent sur des paramètres qui ne peuvent être que vécus, éprouvés, ressentis.
De même, Paul dira-t-il de Rébéka qu’il ne peut pas absolument prouver ce qu’il en dit, mais qu’on doit se fier à son intime conviction qui ne relève pas d’une étude stricte du personnage, mais d’une intuition que nous tiendrions pour incontestable si nous avions eu la même.
Sur ces bases-là, Rébéka n’a aucune chance de prouver à Paul qu’il se trompe sur elle, tout ce qu’elle dira pour se réhabiliter à ses yeux sera perçue comme une manœuvre destinée à le tromper. De même, telle personne n’a-t-elle aucune chance de faire entendre à un psychothérapeute quelconque le problème que pose l’irréfutabilité de l’appareil conceptuel auquel il adhère, elle sera immédiatement soupçonnée de… « Résistance » avec tout ce que cela implique.
Attention donc aux esprits animés par ce qu’en psychologie on appelle « un biais cognitif de confirmation » qui les pousse inconsciemment à privilégier les éléments en faveur de leurs préjugés ou de leurs hypothèses et à laisser de côté tout ce qui pourraient les faire changer d’avis. Ce biais pourrait en définitive révéler une incapacité à prendre acte de l’hypercomplexité de toute chose en même temps qu’une tendance à réduire le désir de vérité dont le mouvement est l’essence à un discours hypercohérent dont la puissance tiendrait plus de son harmonie interne que de son rapport à ce sur quoi il est censé nous renseigner. J’ai conscience que cette dernière phrase n’est pas simple, je vous invite à la relire (LOL).
À très bientôt. Prenez-soin des autres, aussi bien que de vous-mêmes.
La vérité est-elle à chercher du côté de l’expression plutôt que de celui du discours rationnel ?
© Thierry Aymès