LE SUJET SOUVERAIN

Une graine pour le Sujet souverain (un long extrait de mon ouvrage intitulé : « Textes en graines ».

Au sens strict, JE ne suis pas toutes les pensées qui me traversent en tant que conscience ; je ne suis rigoureusement pas « Sujet » de toutes CES pensées. En un sens, elles sont originellement orphelines ou naissent sous X. J’en suis dans le meilleur des cas le père adoptif. Je n’en suis pas le géniteur au sens « génésique » du terme. Elles sont encore moins des émanations du Verbe tel que l’Ancien Testament nous le présente : le Memrâ. Elles s’imposent à l’espace conscientiel que je suis et, en tant que telles, me sont adventices. Friedrich Nietzsche le sait bien qui mentionne cette évidence au chapitre XVII de Par-delà Bien et Mal : » Une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux. »

Certaines sont récurrentes, obstinées, obsessionnelles et fonctionnent à la façon d’un trou noir dont la densité du champ gravitationnel tend à avaler l’espace conscientiel, la « clairière » la fine pointe du Réel que Je suis.

Dès lors, dois-je continuer à les appeler « pensées » ? Ne sont-elles pas plutôt des représentations en provenance d’un hier, toujours ; des images compulsives et dévoratrices, symptomatiques d’une activité psychique étrangère à une subjectivité souveraine ?

Nous y voilà ! La « subjectivité souveraine » n’est alors que la qualité spécifique du Sujet dont le propre est étymologiquement d’être l’indépassable « point-toujours-plus-bas » de nos représentations. Je dois entendre par là qu’en tant que Sujet, Je suis toujours plus en deçà de mes représentations. Je pense au sublime « Très-bas » de Christian Bobin (1 992) qui fait probablement de Dieu, l’Être, souverain d’être LE Sub-jectum, le « Sujet-souche » par excellence dont, aux yeux de cet immense écrivain, saint François d’Assise est l’humble représentant.

Je suis cet indicible soubassement ontologique juste à côté du Sujet absolu, ce grand Sujet causa sui et éternel ; la Cause et l’Effet, jetés ensemble, l’Alpha et l’Oméga, le Commencement et la Fin.

Tout se passe donc comme si ces pseudo-pensées cherchaient à « avoir lieu », s’évertuaient à élire domicile en l’espace conscientiel que je suis. Mais l’espace n’est pas le lieu. Il est la condition de possibilité de tout lieu.

En tant qu’espace conscientiel, je dois me concevoir comme une « forme illimitée, absolument contenante et unificatrice »; une forme illimitée et cependant en péril, dans la mesure où JE suis à chaque seconde susceptible de m’abîmer dans ce qui cherche à « avoir lieu ». En d’autres termes, « se méfier de la gravité puissamment attractive de certaines pseudo-pensées dans la mesure où elles peuvent incompréhensiblement aspirer l’espace qui les contient. Les « représentations compulsives et adventices » sont périlleuses en ce qu’elles cherchent à se substituer, en tant que lieu, à l’espace que Je suis… Toujours plus en deçà.

Idéalement, qu’est-ce alors que « Donner lieu » ? Demanderez-vous. C’est autoriser une pensée à élire domicile dans cet espace que nous sommes à la condition expresse qu’elle le laisse à son dynamisme, à sa vitalité, à sa liberté. « Donner lieu », c’est offrir sa chance à un Moi, authentique de se constituer en ne perdant rien de l’espace qui en est la condition d’existence.

CONSEIL : Ne pas adhérer automatiquement à chacune des pensées qui traversent notre esprit ; elles viennent le plus souvent du passé et n’ont QUE la force prodigieuse de son inertie.

Au même titre qu’un objet lancé dans le ciel n’est pas vivant, au même titre qu’il serait erroné de croire qu’il l’est sous prétexte qu’il se déplace devant nos yeux, il existe des pensées en trompe-l’œil, des pensées mortes, dévitalisées, exsangues, des pensées désertes, de ces déserts de terrains vagues, désaffectés ; des pensées qui tombent et s’agglomèrent en un point de chute pour se constituer en ce que je dis être… Psychologiquement… Moi.

Le plus souvent, le Moi n’est rien d’autre que l’unité et le nom de cet amas, de cette somme de pensées inertes. Il est le résultat d’un ARTE povera, sans talent, parce que sans sujet. Il est une œuvre sans auteur et donc sans signification. Ce point de chute n’est cependant que le simulacre d’une indépassable limite inférieure, et les pseudos pensées qui s’y amoncellent sont semblables à ces apnéistes un peu présomptueux qui se voient condamnés à remonter à la surface plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu sous peine d’être absorbés par les abysses sous-marins.

Le Sujet quant à lui est toujours plus bas sans être le moins du monde soumis aux lois de la pesanteur ; il est la volatilité même de l’Être, son insoutenable légèreté. Une pensée n’est vivante que pour autant qu’elle jaillit de Sa Présance et s’arrache au fardeau du passé. Une pensée doit être fraîche, énergisante, créatrice, pour mériter ses lettres de noblesse. C’est à l’envol qu’elle engendre qu’on la reconnaît, au sentiment de joie qui l’accompagne. Là est le « Conatus » spécifiquement humain, le « Conatus noétique », ce désir fou de persévérer et croître de l’Être même de ce qui est.

Se démachiner donc, se démécaniser. Travailler à la désagrégation du Moi ; à sa revitalisation. Le désimaginer, le laisser pour compte. Le laisser tomber de son propre poids jusqu’à ce qu’il démissionne de sa prétention à remplir tout l’espace.

Le Moi commun n’est qu’une entité inerte dont la vitesse ou l’immobilité tend à nous faire confondre l’énergie ressuscitante du Réel avec sa réification.


[1] Expression de Malebranche qui désigne ainsi l’imagination (1638-1715)

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