LA PLAINE

(Extrait de mon livre intitulé : « Merci pour les miettes » en quête d’éditeur)

Lundi 8 novembre, 6 h 38

La plaine. Mille fois, j’y ai rejoint un pauvre bougre un peu perdu, un qui parle à peine plus qu’il ne bavarde, un qui fait attention à ce qu’il dit, à comment il le dit, par crainte d’être abandonné. Un qui se tait avec des phrases qui tiennent toutes seules, qui n’ont besoin de personnes en particulier pour faire mouche. J’y ai retrouvé celui qui n’ose plus depuis longtemps, celui qui préfère s’absenter, plutôt que de risquer l’aventure d’un chemin à lui.

Dans cette plaine, il y a ses amis de toujours et de plus jamais ; ceux qu’il a serrés fort contre son cœur quand il avait peur du noir. Il y a ceux qui ne l’ont jamais aimé et ne l’aimeront jamais. Il y a ceux qui savaient que vient un jour où l’on n’a plus assez de temps devant soi pour lire les livres qui attendent dans la bibliothèque ; ceux qui, très tôt, n’en ont plus acheté. Ceux qui ont grandi, ceux qui ont vieilli, ceux qui n’ont jamais été jeunes, qui ont joué à l’être, comme ils jouent à ne l’être plus. Ceux qui vont, qui viennent, qui passent, qui ont toujours su qu’ils passeraient. Il y a qu’à les écouter rire et pleurer, le pauvre bougre a vraiment cru qu’ils existaient. Mais la plaine vous fait ramper. Elle vous oblige. On y croise des coyotes aphones et des chacals scrupuleux, des cow-boys de fortune, des qui auront bientôt un 4 X 4, une piscine bleue avec une maîtresse dedans et qui diront : « J’ai travaillé pour avoir tout ça ! Je ne l’ai pas volé ». C’est que la plaine à son langage, la plaine garde sa porte. N’y entre pas qui veut. Le pauvre bougre a dû montrer patte blanche. Il a fallu qu’il s’applique, qu’il s’accroche, qu’il s’approche avec humilité, qu’on lui pardonne d’avoir trop longtemps osé être lui-même, d’avoir bravé l’Aquilon et apostrophé les hauts plateaux. Par délicatesse, il y aura perdu sa vie.

Heureusement, il y a Laura, celle à qui j’écris et qui ne répond pas. Celle qui a répondu ; qu’elle croit. Celle qui me fait écrire ; qu’elle sait et qui s’en fout. Celle qui ne comprend pas ce que je fais ; celle qui se méfie. Heureusement, il y a son visage qui s’efface pour apparaître ailleurs, son visage voyageur. Elle l’aurait voulu moins nomade, plus attaché au danger qu’il signale encore. Elle part à reculons d’un monde tout entier tourné vers elle. Elle apprend à tirer sa révérence en même temps que lui.

Laura, Laura pas. Un coup oui, un coup non. J’aime, j’aime pas. Non pas moi, mais elle ; la rebelle, la cerise sur le pompon, la crème renversante.

© Thierry Aymès

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