De nos jours, comme le dirait Lili Frikh, « le trottoir fait le tour du monde »; j’ajouterai avec moins de poésie et peut-être plus de clarté que les putes sont désormais à tous les étages. De la politique à la spiritualité en passant par toutes les formes artistiques, tout n’est plus qu’affaires de communication, et peu importe au final ce qui est véhiculé pourvu qu’on en parle avec adresse et légèreté. La tristesse et la lourdeur n’ont plus droit de cité. Dans cette arène obscène et mondialisée, dans cet espace inanimé, les sacrifié(e)s seront toujours les mêmes, mais ne seront fort heureusement jamais les perdants.
Sans plus de précision, je tenais à vous faire savoir qu’on a récemment dit « Merci et A+ » à une amie qui venait de donner une partie de son âme sous peine implicite d’être mise à la marge d’un tout petit monde où l’on prétend croiser le Verbe, alors qu’on y croise le fer. Les marchands sont dans le temple qui, depuis des lustres, ne savent plus ce qu’est le sacré. Nous vivons dans une société de « vandales nombriliques » n’ayant sur eux plus un seul échantillon du vagabondage initial que ce substantif recelait. Bien au contraire, ils ne savent que trop où ils vont. Quant à l’adjectif que j’y ai associé, si l’on veut bien se rappeler que le mot « ombilic » désignait jadis cette cicatrice que nous avons tous en commun et par où nous avons gagné notre première mise au monde, on se dit que c’est Antonin Artaud qui avait raison ; les limbes même finiront à ce train par n’être peuplées que par les pilleurs, juste avant une rédemption qui ne viendra plus. Par cet ombilic donc, par ce vestige de chair, nous restons reliés en mémoire à ce qui aurait pu être notre salut, à ce qui ne le sera pas et nous tournons, tels des derviches sans dieux en quête d’un vertige postiche. Guignol a perdu sa main.
© Thierry Aymès