SI MARIE SAVAIT

(UN EXTRAIT DE MON PROCHAIN LIVRE)

Si Marie savait ce qui se passe parfois dans la tête de Paul quand ils sont en train de manger ou lorsqu’ils marchent dans la rue, main dans la main… Elle ne s’en doute certainement pas et l’on pourrait croire que c’est tant mieux.

Il se souvient de la chanson « Idées noires » de Bernard Lavilliers en 1983. Nicole Grisoni, alias Nicoletta lui demande : « Où es-tu quand tu es dans mes bras ? Que fais-tu ? Est-ce que tu penses à moi ? ». Dans les bras de Marie, Paul pense parfois à Séfa… À leurs ébats…À son corps, son avidité, sa disponibilité active. Il a honte, il a peur que Marie ne soit aussi dans les bras d’un autre, alors qu’elle est dans les siens. Sait-on jamais où chacun rêve, par quoi chacun est traversé, chaque seconde, au-dedans, tandis qu’au dehors, les mains se serrent, les sourires et les mots se forment, les regards s’enfoncent l’un dans l’autre. Saurons-nous jamais ? Qu’il y a loin d’elle à lui ! Qu’elles sont nombreuses les images et nombreux les souvenirs qui les tiennent à distance. Ne plus croire aux apparences bien sûr, revenir d’un pays où ne courent que les ombres, prendre acte d’un fait… Au fond, très au fond, ne seraient-ils pas qu’un seul et même désir, qu’une seule inquiétude, tendus, elle vers lui et lui vers elle, vers ce que chacun croit que l’autre est, vers ce que chacun veut que soient les humains… Non pas des êtres à jamais hermétiquement clos, impénétrables, inatteignables, mais des êtres ouverts, et dont la lumière, comme un pari jeté par-delà les façades plus ou moins lézardées, est la juste mesure, la note exacte. Alors, il lui dit tout… Ses cauchemars, ses rêves érotiques, ses obsessions, ses fantasmes, ses mauvaises pensées… Ses ambitions les moins nobles. Il lui dit tout pour qu’elle l’absolve… Pour qu’elle l’aime en entier, pour l’entendre lui dire que ce n’est pas grave. Pour qu’elle soit un ange… Pour croire aux anges.

Puis il théorise parfois : « Aimer qu’est-ce donc si ce n’est croire ? Croire que l’autre est à portée de cœur, ouvert au vent de notre soif la plus initiale ? ». Dans ces moments-là, Marie l’écoute sans vouloir le comprendre. Elle pourrait lui répondre : « Chercher à comprendre revient en un sens à se résigner, c’est déjà assumer tristement l’infranchissable espace entre toi et moi… L’amour ne connait pas l’espace, l’amour n’est pas sage, l’amour n’est pas triste et ne se soumet pas au diktat de la géographie… »… Mais Marie préfère se taire ou lui dire « Je t’aime ».

© Thierry Aymès

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