« PSY » FAÇON RILKE (extrait de « Self-interview »)

Quels sont les prérequis pour devenir un bon « psy » ?

– Je n’aime pas le mot « prérequis ». Pas du tout même. Il appartient à un certain Establishment où la vie ne vient que très rarement frapper à la porte. Je vous répondrai néanmoins ceci en m’autorisant un emprunt ; celui d’une structure, d’un rythme, d’un parfum, à un texte fameux de Rainer Marie Rilke intitulé : « Pour écrire un seul vers » extrait de ses « Cahiers de Malte ».

– Pour être un bon psychothérapeute, il faut avoir été trahi, abandonné, après avoir été adoré, il faut avoir connu  l’amour et le désir fous, il faut avoir trompé, il faut avoir menti, croisé des visages par millions et longtemps observé la pluie. Il faut avoir senti comment vole le ciel et frémissent les fleurs au petit matin. Il faut avoir connu les chemins où l’on court vers le goûter que de vieilles mains nous tendent. Il faut avoir eu les genoux en sang, les joues brûlées par le soleil. Il faut avoir rêvé au désir le plus impie juste avant de croiser son visage dans une goutte de rosée. Il faut avoir parlé aux inconnus et dormi à la belle étoile. Il faut avoir bu beaucoup. Il faut avoir coupé ses ailes à une mouche, chassé un bébé écureuil, giflé son meilleur ami. Il faut avoir regretté beaucoup. Il faut avoir cru aux ruisseaux comme des fleuves, à leur tumulte et aux bateaux en écorce de pin qui s’y risquaient. Il faut avoir connu ces départs que l’on voyait arriver de loin et ces jours sans faim dont le mystère reste entier. Il faut avoir été déçu par ses parents après les avoir dessinés en grand sur une page blanche, il faut être tombé malade un soir d’été, alors que tout allait bien, il faut avoir traversé des livres à pieds, face à la mer ou dans le vent. Il faut avoir ri, avoir crié très fort, avoir pleuré pour rien. Il faut avoir blanchi des nuits de solitude… Il faut être resté assis auprès d’un mort que l’on peinait à aimer lorsqu’il était en vie ; là, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les rires qui entraient par rafales après avoir rebondi sur le mur d’en-face. Il faut l’avoir pleuré en rêve. Mais il faut savoir oublier tout cela et accepter de ne pas y parvenir. Ce n’est qu’alors que se lève la première vraie séance… Peut-être.

© Thierry Aymès

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