Tout tout tout, vous saurez tout sur le zizi, le vrai, le faux, le laid, le beau, le dur, le mou qui a un grand cou, le gros touffu, le p´tit joufflu, le grand ridé, le mont pelé, tout tout tout tout, j’vous dirai tout sur le zizi…
1974 – Le Palais des Congrès est inauguré, Pierre Perret[1] pourra bientôt aller y chanter sa chanson. Le 2 avril Georges Pompidou est emporté par la maladie de Kahler[2] et un mois et demi plus tard, Giscard d’Estaing est élu Président de la République. Certains disent qu’il a ri à l’écoute du titre en question, eu égard à la réputation qu’ont généralement les hommes politiques. Jacques Chirac est élu Premier ministre, nul doute qu’il connut très vite les paroles de l’ami Pierrot. Qu’en pensa en revanche Françoise Giroud nommée le 5 juillet secrétaire d’État à la condition féminine ? L’ORTF n’est plus ; ce n’est donc pas elle qui diffusera un peu partout la perle « perretenne ». La pilule peut être délivrée aux mineurs sans autorisation parentale ; elle sera qui plus est remboursée par la Sécurité sociale, et la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse est votée. Les zizis vont-ils en conclure qu’ils n’ont plus à bien se tenir ? C’est en tout cas cette année-là que paraît le film de Bertrand Blier intitulé : Les Valseuses. À vous d’imaginer ce que le titre veut dire…
Zizi… Le mot est rigolo et n’évoque en définitive qu’un sexe tout à fait inoffensif ; il renvoie à l’enfance et convient à l’époque. En dépit de la révolution sexuelle des années soixante, la pornographie n’en est qu’à ses balbutiements ; Linda Lovelace, la première vedette reconnue du X ayant ouvert la voie 2 années auparavant avec Deep throat[3].
Les premiers cours d’information sexuelle au collège viennent à peine d’être mis en place et Monsieur Perret sent immédiatement le sujet en or. Il a conscience qu’il va se heurter à la censure, mais il s’en empare, et quelques mois plus tard le directeur des programmations musicales d’Europe 1 décide de diffuser son œuvre malgré le caractère osé des paroles. « C’est parti mon kiki ! », un tabou de plus est sur le point de sauter. Nous pouvons savourer un texte grivois, mais sans vulgarité, à des heures de grande écoute.
Dans les années trente, le comique troupier Gaston Ouvrard avait bien évoqué la chose de façon plus métaphorique en l’appelant « le Bilboquet », cependant, bien que restant très imagé, le style de Monsieur Perret est plus direct et emporte très vite son public. Sa chanson fait mouche. Le 45 tours se vend à des millions d’exemplaires. Du zizi des boulangers à celui du pape, tous sont passés en revue. Avait-il anticipé le mariage pour tous puisque nous pouvons même l’entendre chanter : « J’ai roulé d’la pâtisserie avec celui d’mon mari » ? Les prémonitions n’étant pas nécessairement réservées aux seuls grands textes, nous pouvons légitimement nous poser la question.
D’ailleurs, si nous devions juger la noblesse d’une œuvre à son impact dans la société, celle-ci est sans nul doute à ranger parmi les chefs-d’œuvre de la variété française. Pierre Perret était déjà connu pour sa plume colorée, mais en cette année 1974, son coup fut celui d’un maître dont on vante encore l’imagination foisonnante 4 décennies plus tard.
Dans cet opus à la limite du paillard qui concourut, à sa façon, à décomplexer bon nombre de Françaises et de français en procédant à une désacralisation du sujet, une phrase, l’air de rien, nous permet d’évoquer une distinction savante qu’établit Sigmund Freud, le père de la psychanalyse qui naquit en 1 856 et mourut en 1939 après avoir accompli une œuvre monumentale qui comptera encore de nombreuses années parmi les plus influentes de l’Histoire. À la toute fin de la première strophe qui introduit la vedette et situe l’événement dans le temps, le chanteur écrit ceci : « […] Nous allons enfin savoir, quel est ce monstre sacré qui a tant de pouvoir ? » Monsieur Perret le savait-il, à ce moment précis, il faisait peut-être moins allusion au « pénis » qu’au « phallus » dont le concept est crucial dans la pensée du neuropsychiatre autrichien.
Tandis que le mot pénis désigne l’organe anatomique masculin que le poète nous décrit de 1 000 façons, en psychanalyse, celui de phallus symbolise la puissance et se trouve être la clé de la structuration individuelle de tous les humains, femmes y compris. C’est à cause de cet axiome qu’une certaine Christiane Olivier en 1980 publia son livre : Les enfants de Jocaste. Elle y dénonça un trop grand phallocentrisme[4] de la théorie.
Il est à noter que le phallus doit toujours être imaginé en érection sous peine de perdre sa signification. Des Mexicains aux Indiens en passant par les Égyptiens, toutes les civilisations le vénèrent de tout temps.
Chez les Grecs par exemple, les représentations phalliques étaient censées conjurer les mauvais esprits et l’on pouvait les rencontrer à l’entrée des maisons ou, en guise d’amulettes, il était courant de les voir pendues autour du cou des enfants.
Ce n’est qu’après la conquête de la Gaule par les romains au Ier siècle avant Jésus-Christ que le culte du phallus personnifié par le dieu Priape contribua, semble-t-il, à l’avènement du monothéisme à visage masculin et chassa progressivement celui des déesses.
La psychanalyse fit donc du phallus « le pouvoir symbolisé », tous sexes confondus. C’est autour de lui que s’articulent et s’édifient les identités masculine et féminine. Toutefois, le phallus doit être aperçu comme un objet imaginaire n’existant que dans le fantasme selon lequel il procurerait complétude et puissance.
Les enfants construisent inconsciemment cet objet à partir du moment où ils peuvent constater qu’une différence existe entre les sexes. Alors qu’au tout début de leur vie, chacun dans son coin s’imagine que tout le monde possède le même organe : un pénis pour le garçon et un clitoris pour la fillette, ce n’est que le jour où l’un et l’autre se voient confrontés à la réalité anatomique du sexe opposé qu’une représentation inconsciente se forge.
Le petit garçon à la vue du sexe féminin (de sa mère) va avoir peur d’être castré et la petite fille face au sexe masculin (de son père) pensera l’avoir été et désirera en avoir un. C’est de cette façon que sera résolu, dans les coulisses de leur psyché, le mystère de la différence des sexes. Tout tournerait donc moins autour du pénis. En tant qu’organe, il serait ce qu’il faut avoir pour être entier et conséquemment puissant.
L’angoisse de castration conduira le garçon à éviter le désir incestueux de la mère dont Freud pense qu’il est universel, et à ne plus ainsi risquer les foudres d’un père potentiellement émasculateur au nom de la loi qu’il représente. C’est ainsi qu’il sortira du Complexe d’Œdipe et pourra envisager une sexualité autorisée avec une personne « étrangère ». L’interdit de l’inceste ne serait donc pas seulement motivé par une volonté d’échanges entre les ethnies ou les familles comme l’a pensé Claude Lévi-Strauss[5]. Il aurait une fonction structurante et achèverait de détacher le petit d’homme de sa mère. De son côté, la toute jeune fille se voyant privée de cet appendice tout extérieur à cause d’une bêtise qu’elle aurait commise, désirera avoir un pénis et s’évertuera à gagner des substituts. C’est ainsi nous dit Freud qu’elle développera un sens de l’esthétique et de la beauté qui lui conféreront un pouvoir.
Aussi étrange que cela puisse paraître, le phallus n’est pas la propriété exclusive de l’homme contrairement au pénis ou au zizi.
Nous ne voyons pas qui, parmi les auteurs-compositeurs-interprètes actuels pourrait écrire une chanson sur le phallus, mais il est à craindre que, dans le cas où l’un d’entre eux s’y attellerait, le succès soit moins fulgurant. À notre connaissance, le phallus ne connaît guère de variations aussi burlesques et notables d’un individu à un autre et même, d’un homme à… Une femme.