EXTRAIT DE MON AVANT-DERNIER OUVRAGE INTITULÉ : « SELF-INTERVIEW ».
Cher Thierry Aymès, mis à part Joë Bousquet qui vous marqua au fer rouge, alors que vous n’aviez que 18 ans, vous est-il arrivé de rencontrer des textes indélébiles ?
Sans hésitation, je dirai… Ceux de Lili Frikh dont il faut d’emblée savoir qu’elle n’écrit que par défaut ; mais plus encore, indélébilité de Lili Frikh elle-même. Récemment, à la suite d’un texte intitulé « À la crasse de Dieu » qu’elle publia sur sa page Facebook et qui est extrait de son tout premier ouvrage « Bleu, ciel non compris », je me pris à le commenter. « Magnifique texte ! Puissant et simple ; comme d’habitude… Et toujours surprenant. C’est cela que j’appelle le « glamour »; le vrai. Celui qu’il faut être capable d’aller chercher ailleurs que dans les vitrines de prêt-à-porter, celui dont il faut être digne en relevant les manches très tendances de la légèreté. Celui qui monte de la merde au visage et qui ne s’arrête pas entre les cuisses. Le « glamour alchimiste », non pas l’opportuniste, non pas l’orpailleur, ne se niche pas sous les jupes printanières. L’or, l’authentique, le sans-carats, le sans-prix, est celui que l’on obtient par mutation du rien, de l’im-monde, du sans-valeur, en humain. Une solitude, une croix est toujours sur mesure. C’est de la haute couture pour les pauvres, les éconduits, les méprisés, les esseulés, les maudits. Si le poète n’a pas pour tâche de tout assumer, de tout ennoblir par cette assomption même, alors bien sûr, il peut être à la mode… Un temps, mais c’est à peu près tout. « Être dans le vent, c’est avoir un destin de feuilles mortes. » (Jean Guitton). Bientôt, nul doute que nous en verrons quelques-un(e)s chez Cyril Hanouna. De nos jours, les poètes sont avant tout des communicants qui briguent l’espace où évolue le show-business. Dans une société où le « devoir de positiver » culpabilise les mélancoliques, Dieu merci vous n’êtes pas légère et c’est ce qui vous fait humaine. À ce que vous dites (car vous n’écrivez pas, vous êtes sans-papiers), l’on ne devrait pas applaudir. Et que dure le silence qui suit votre voix, car il est encore vôtre ». Ne pas lire Lili Frikh est une erreur si l’on dit aimer la poésie et plus précisément sa geste absolutoire.
© Thierry Aymès