Le désir sexuel, outre sa fonction anxiolytique évidente, ne serait-il pas, in fine, et pour la plupart d’entre nous, que le signe d’une incapacité à nous extraire d’un fantasme, narcissique par nature, et à rejoindre la réalité de l’autre ? L’amour, tristement qualifié d’objectal par la psychanalyse, existe-t-il vraiment ? Suffit-il que la libido se dirige vers lesdits objets plutôt que vers le Moi pour que l’affaire soit réglée ? N’existe-t-il pas une façon indécrottablement moïque d’investir tout ce qui n’est pas soi ?
Il n’est que de se regarder désirer pour se rendre compte que le désir sexuel manque toujours sa cible présomptueusement nommée Lui, à moins que ce ne soit Elle, et que l’amour véritable, à savoir celui dont le flux présuppose l’informabilité de tout objet-humain, ne veut et ne peut rien moins qu’un orgasme.
Si nous entendons par « cible » l’être humain, autrement dit la personne qu’un corps phénoménalise, et par « amour » ce qui nous fait traverser cette apparition jusqu’à deviner sa mystérieuse intimité, le rapport-à-soi qui s’y cache, alors, ce sont bien les corps qui s’étreignent très au large des âmes dont le propre est d’être « horizonales » et dont ils ne sont que la très lointaine évocation.
À moins qu’à savoir tout cela nous ne fassions mine d’en être les dupes et ne nous efforcions de voir en chaque recoin charnel le signe vaguement glorieux d’un souffle à jamais languissant, à moins que nous n’oubliions volontairement l’irreproductibilité d’une certaine et très réputée Incarnation[1], désirer suppose un désastre, un morcellement, une partialisation dudit « objet humain », quand aimer subodore que son tout incommensurable, en même temps qu’insaisissable, est à chérir jusque dans l’impuissance même qu’il nous inflige, la faillite définitive qu’il signe au cœur même de notre désir, et que cette totalité insue d’elle-même comme de nous, ne peut être qu’un orient sans sex-appeal, un tuteur indiquant la « voix » à suivre, aveuglément.
Non, le désir sexuel n’est pas l’amour, à moins qu’il n’en soit que l’enfance, assassine et innocente de fait, le repentir toujours recommencé d’un dessein à jamais différé, l’imprécision enivrante d’un enfermement.
Désirer « sexuellement » procède d’une illusion, celle qui nous porte à croire spontanément que tel autre apparaît tout entier dans son corps, tandis qu’aimer n’est autre que l’assomption de l’éloignement définitif où il se trouve et qui nous condamne heureusement à ne jamais le saisir.
[1] Celle du Christ.