Cher lecteur,
Je ne sais pas si je dois vous entretenir de ma toute dernière réflexion, elle est si désespérée et si peu commune qu’elle ne sera peut-être pas à votre goût. Toutefois, afin que vous puissiez juger de sa valeur, je tiens à vous en parler.
Depuis longtemps j’ai remarqué que, pour ce qui est des relations humaines, il est souvent utile de faire comme si elles étaient sincères, mais comme je désirais rencontrer l’amitié véritable, je pensai qu’il me fallait rejeter comme absolument fausses toutes celles en lesquelles je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir si, après cela, il en resterait une qui fût entièrement indubitable.
Ainsi, dans la mesure où nos cœurs nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y en avait aucune qui fût telle que je la désirais. Et parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en sympathisant, même touchant les plus simples relations, et se trompent eux-mêmes, jugeant que j’étais sujet à me faire avoir autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les amitiés que j’avais prises auparavant pour certaines.
Enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les amitiés qui étaient jamais entrées en mon coeur, n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.
Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que toutes étaient fausses, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler , je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais et qu’au fond, l’amitié de quiconque m’importait peu.
© Thierry Aymès