Depuis l’avènement des réseaux sociaux, qui prend encore la peine de lire un livre ? De ceux que l’on tient dans les mains et que l’on renifle au risque d’un éternuement… S’ils sont vieux. Aujourd’hui, seules les citations semblent avoir grâce aux yeux des lecteurs. Les ouvrages dont elles sont extraites ont disparu. À peine leurs auteurs survivent-ils quand ils ne sont pas échangés sans que quiconque ne s’en aperçoive. Ne reste que le fruit de l’arbre, de la terre où l’arbre est planté, de l’histoire de celui qui l’a ramassé parmi beaucoup d’autres ; ne reste que le bonbon, le sucre et non le suc, toujours à la gloire de celui qui cite ; ne reste que la cerise sur le gâteau, la cerise que l’on prend pour le gâteau.
Une phrase sans texte n’est plus qu’un objet de consommation comme un autre ; elle est un objet « disconte » que l’on dévore en courant, quand les livres se payent d’heures et se traversent en marchant. Elle ne fait que dire tout haut le temps que l’on ne veut pas prendre pour en dévoiler le sens ; elle est au désir d’apprendre ce que la pornographie est à l’érotisme ; elle obéit à la pulsion de savoir, à peine, de savoir-pour-paraître-savoir ; elle fait allégeance au mensonge, au spectaculaire. La citation signale plus qu’elle ne signifie ; elle nous parle plus de celui qui la brandit comme un trophée que du terreau personnel où elle a pris racine. L’époque n’est plus à l’effeuillage sacré, mais au viol banalisé.
© Thierry Aymès