Vendredi dernier (17 juin), un patient en plein questionnement au sujet de l’amour vint me voir avec une lettre qu’il souhaitait me faire lire. Bien qu’anonymement, je me permets de la soumettre à votre jugement… à peine remaniée et… Avec son autorisation. Il vous sera de toute façon impossible de l’identifier :
« Je suppose que tu ne me fais plus aucun signe de peur d’entretenir ma peine. Au sens strict, tu ne me manques pourtant pas. Ce qui me manque, c’est ce que j’ai cru avoir vécu dans tes bras et qui n’était en définitive qu’une hallucination. J’ai vite compris que je rêvais et que tu n’étais pas celle que j’espérais. Tout s’est bien passé tant que notre relation ne t’a pas conduite à remettre en question l’image que tu t’étais forgée de moi. Tu me voyais comme un mec « bonnard », sans « prises de tête » (maitresse expression d’aujourd’hui que tu as, semble-t-il, reprise à ton compte). Tu t’étais imaginé que nous pouvions nous voir pour faire l’amour sans que cela ait la moindre répercussion sentimentale dans mon cœur, présupposant que tu étais, toi, et d’emblée, hors de portée de ce danger-là. Sans doute nous verrions-nous encore si cela avait été le cas. Mais mon désir de toi t’a fait peur et voici qu’aujourd’hui, je te croise par hasard, comme j’ai croisé voici 3 jours une personne que j’ai rencontrée avant toi, au mois de décembre dernier. Je me souviens qu’elle n’en pouvait plus d’attendre, tant son désir de moi, de ce qu’elle croyait être moi, était fort. Dix jours après, elle était revenue de son délire et l’autre soir, nous en étions revenus à la relation d’avant nos étreintes…le désir en moins… »
Au cours de notre entretien, voici quelques-unes des questions que je lui ai posées : « Avec qui couche-t-on quand on ne connaît pas suffisamment la personne avec qui l’on couche ? Ce genre de rencontres ne serait-il pas à tout le plus, une forme de masturbation sophistiquée en même temps qu’une forme d’impuissance à sortir de soi et partir à la rencontre de l’autre, de cette partie de l’autre irréductible à la représentation que l’on en a ? »
Il m’interrompit et me dit : « Sans doute est-ce cela qu’il y a à aimer… une transcendance qui se donne paradoxalement dans les traits d’une personne que l’on ne prend le plus souvent pas le temps de rencontrer au nom d’un désir libéré et impérieux, en même temps qu’au nom d’une « majorité » qui vient sanctifier le libre consentement de chacun. Résultat : on s’abandonne à soi. »
Je poursuivais : « Aimer, ce n’est sans doute pas aimer les points que l’on a en commun avec l’élu(e) de notre cœur ; aimer, c’est peut-être prendre le risque d’attendre que l’autre se révèle dans son autreté irréductible et nous montre le chemin hors de nous-mêmes. »
Il reprit : « En ce sens le désir physique n’a-t-il probablement rien à voir avec l’amour et procède, tout comme l’état amoureux, d’une projection narcissique qui nous condamne par avance à louper l’autreté de l’autre en tant que cible possiblement salutaire. »
Il me rappela alors qu’à l’occasion d’une séance précédente, nous avions évoqué le mot grec signifiant: « rater sa cible »…hamartia, et qui a été traduit en français par le mot…péché.
Je me dois préciser que mon patient est agnostique.
Ce fut une bonne séance de travail qui demande néanmoins a être déblayée et approfondie.
© Thierry Aymès