Quand l’individualisme a consommé son divorce d’avec la citoyenneté, quand la social-démocratie dont la vocation est de maintenir l’orientation sociale de l’individu s’est mutée en une démocratie dite « libérale » dont la spécificité consiste à faire de chacun d’entre nous son propre alpha et oméga, le résultat est celui que nous avons connu à la dernière présidentielle et, plus récemment encore aux législatives. Le libéralisme ayant pris le pas sur la forme même de notre gouvernement, la notion de peuple entendue comme communauté politique souveraine susceptible de prendre en main son destin se voit de fait délitée.
S’il est tout puissant, s’il occulte le citoyen, s’il devient un horizon indépassable, alors l’indivualisme signe la défaite de l’homo politicus au bénéfice de l’homo economicus.
À qui la faute ? À n’en pas douter au chamboulement de mai 68, aux années qui l’ont rendu possible et à celles qui l’ont suivi. À notre fragilé face aux nouvelles venant de l’Ouest et que l’on croit trop souvent bonnes.
Conséquence : Aujourd’hui, l’individualisme est devenu l’ennemi de la démocratie.
Convenons cependant que le système démocratique est intrinsèquement problématique en ce qu’il est fondamentalement édifié sur la base de l’individualisme, en même temps qu’il est entièrement tourné vers lui et que la souveraineté populaire peut à terme s’exprimer contre la liberté de l’individu.
C’est en ce sens qu’il serait sans doute plus juste de dire que nous sommes plus précisément dans un projet démocratique avec tout ce que cela sous-entend de difficultés, de dynamisme, de tension, de circularité.
Le régime démocratique doit s’armer d’un outil fort dans le but de maintenir sous son contrôle le processus dialectique qui le sous-tend sous peine de causer sa propre disparition.
© Thierry Aymès