L’autre, le tout nouveau, celui que l’on ne connaît que depuis quelques minutes et vers qui nous tendons déjà comme vers la terre promise… Peut-on sérieusement prétendre l’aimer ? À tout le plus peut-on penser qu’à partir d’un regard « de balcon », il correspond à notre goût, à notre désir, notre rêve. Mais disant ceci, nous disons si peu; nous disons si mal. Si le coeur ne s’en mêlait pas, ce ne serait pas grave, mais il rapplique à la moindre chance d’être heureux, et le bonheur sans partage n’existe pas nous a-t-on dit, alors, on saute le pas; on saute dans ses bras, à lui ou elle. D’autant que les premiers mots échangés ont bien entendu confirmé notre première impression… Nous avons tellement besoin d’amour.
Et puis, il y a le corps, la machine, son instinct, son intelligence propre et insoupçonnée, méprisée même, sa volonté farouche de se perpétuer; alors on fonce d’autant plus, et de là, naissent des petits d’homme qui perpétueront la ronde. Nos « Je t’aime », nos « nous sommes faits l’un pour l’autre » pourraient bien n’être que les paroles de ce corps-là, de cette machine-là, avec notre complicité servile, au garde-à-vous face à la Vie, la grande, celle qui se veut, celle qui a horreur de la mort et emporte tout sur son passage.
Cela fait beaucoup de choses que l’on ne commande pas… Vous ne trouvez pas ? L’autre, cet étranger que l’on croit connaître et que l’on dit aimer au premier regard ou presque, notre besoin viscéral d’amour et la poussée du corps où siège une volonté insue, celle de la vie avec un grand « V », celle qui cherche à se reconduire par tous les moyens… Et nous, où sommes-nous dans tout ça ? Existons-nous seulement ?
Depuis toujours, les mêmes scènes, les mêmes leurres, mais aimer vraiment, aimer pour toujours, c’est autre chose, n’est-ce pas ? La société dans laquelle nous vivons, veut-elle encore de cet engagement ? Nous autorise-t-elle encore à croire en une promesse plus forte que l’épreuve du temps, plus puissante que l’usure des jours, plus réelle que ce que nous révèle de l’autre le quotidien que l’on partage avec lui ? Ne dit-elle pas plutôt : « Consommez-vous les uns les autres ! »
© Thierry Aymès