L’HUMOUR EN DANGER

Voici une bonne dizaine d’années, j’avais été sollicité par Radio France pour écrire des chroniques de 2 minutes. J’avais fait mon essai à France Bleu Gard avec ce texte qui n’était pas passé aux yeux de celui qui aurait été mon directeur et qui souhaitait que je pense comme lui qui pensait comme son directeur qui pensait comme la radio en question, bref… Je n’ai pas intégré son équipe.

Peut-on rire de tout ou existe-t-il un « sacré objectif » que chacun se devrait de ne pas tourner en dérision ? À interdire de rire au sujet de ceci ou de cela, ne risque-t-on pas de tomber dans une interdiction de rire de quoi que ce soit et la liberté d’expression n’est-elle pas conséquemment menacée ?

Les africains ont souffert et souffrent encore, les homosexuels ont été longtemps maltraités et le sont encore, les juifs, les tziganes, les handicapés, les communistes ont connu leur malheur et le connaissent encore.  On ne plaisante pas avec la souffrance des gens ! C’est vrai.

J’ajouterai alors que, le cocu souffre d’être trompé, le nain de n’être pas assez grand, le gros de son surpoids, le drogué de sa toxicomanie, la veuve de sa solitude soudaine, le moche de sa laideur, le « plaqué » de sa séparation et celui qui glisse sur une peau de banane, de sa chute… La liste serait longue, infinie même et les communautés revendicatrices de plus en plus nombreuses ; jusqu’à l’atomisation pure et simple de notre fameuse et de plus en plus théorique « cohésion sociale ».

La souffrance serait-elle sanctificatrice du fait même du fardeau qu’elle inflige à celui ou celle qui en est la victime, et ce qui est saint devrait-il nécessairement nous inspirer un respect mêlé de crainte ? Sait-on jamais ?!  La justice immanente d’un rire illégitime pourrait nous condamner, à moins que ce ne soit la justice divine.

Et voilà,  le tour est joué !  Nous ne pouvons plus rire de rien.  Tout est sacré qui ne supporte pas l’humour essentiellement blasphématoire.

Aux antipodes de l’amour selon certains, l’humour mettrait à une distance très proche de celle qu’observe la raison, ce qui ne saurait l’être sans que nous soyons dans un même temps frappés d’inhumanité.  Or, si la raison, drapée dans sa froideur mortifère, n’est pas à même de donner une valeur aux choses, l’humour, de son côté, pourrait bien la reconnaître, mais refuserait obstinément d’y faire allégeance.

L’humour, comme le fou qui jadis l’incarnait, serait délinquant par nature, rebelle par vocation.   Et pourquoi pas ? La vertu ne serait-elle que d’obéissance ?  Et la désobéissance rimerait-elle nécessairement avec méchanceté ? Sans doute est-il difficile de ne pas coller à ce qui nous accable ou nous a accablés, mais n’est-ce pas également salutaire ?  N’est-il pas souhaitable que chacun ait suffisamment de force pour s’extraire de l’enfer où il se trouve, des limites où il  respire mal ? 

Redisons-le, « sans distance point d’humour ! ».  En ce sens, pourrait-on dire, il partage en effet la vedette avec la raison et la conscience.  Il faut ne pas se confondre avec ce que l’on pense pour le penser, il faut ne pas adhérer (dans le sens où les moules adhèrent) à ce que l’on voit pour le voir.  De même, il faut ne pas tremper tout entier dans la douleur pour en rire. 

J’envisagerai volontiers l’humour comme une mise en quarantaine à laquelle j’ajouterai cependant le désir quasi-divin de n’être d’aucun lieu et de n’endosser aucune identité spécifique.  « Vide » de pouvoir faire feu de tout bois et « quasi-divine » d’être partout et nullepart à la fois. Dès lors, « faire l’humour » reviendrait à s’absenter volontairement d’un chaos, un peu à la manière des différentes techniques de méditations qui, par la focalisation de votre attention sur un point donné, vous conduisent progressivement hors de l’espace-temps.  L’humour est une échappatoire, plus encore, elle est une « invite » faite à quiconque souhaite ne plus subir sa vie, subir son monde, subir son Histoire. 

Quelle différence fondamentale y a-t-il entre le violent qui vous frappe parce que vous l’avez regardé avec trop d’insistance et telle communauté qui revendique le droit de n’être pas tournée en dérision.   Chacun à sa façon ne se prend-il pas pour un sanctuaire ? Oui, on peut rire de tout !  Il faut vouloir rire de tout. Le rire est salvateur.  Reste à chacun de se sauver hors de lui-même, de ses croyances et de ses certitudes…par l’humour. 

Mais attention toutefois : « humour n’est pas moquerie ».  Tandis que le moqueur colle à la réalité et s’en sert contre un « autre », sachant que cet autre la subit et y colle également ;  tandis que le « gros » verra sa grosseur qui le crucifie confirmée du dehors par le moqueur ; tandis que la moquerie condamne, l’humour seul peut sauver le condamné de sa peine. 

D’où il paraît logique que l’humoriste se doit de pratiquer son art avant tout sur lui-même s’il ne veut pas être taxé de méchant et être tenu pour un sage.

Je propose donc une sotériologie (1) par l’humour. 

® Thierry Aymès

(1)   – Partie de la théologie chrétienne concernant le salut et la rédemption par le Christ.

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