Monsieur Aymès, que pensez-vous de la définition suivante dont André Gide est l’auteur ? “Le journalisme c’est l’art d’accorder de l’importance aujourd’hui à ce qui n’en aura pas demain”.
Que c’est une bonne nouvelle. Le journalisme est quand même un art, entendons ici « une technique », un savoir-faire que tout le monde n’a pas et que certains peuvent se vanter d’avoir acquis ! Il y a des écoles pour ça et tout le monde n’en sort pas nécessairement avec le diplôme convoité. La première fut je crois l’ESJ, créée au tout début du siècle. L’ironie veut qu’elle vit un professeur y enseigner l’économie qui répondait au nom de Charles…Gide, l’oncle d’André. Reste à savoir à quoi sert cette technique. Le moins qu’on puisse dire est que l’auteur (entre autres) de « l’Immoraliste » n’y va pas avec le dos de la cuillère. Sans doute, comme beaucoup d écrivains, n’a-t-il pas résisté à la tentation d’écrire une phrase cinglante.
À moins qu’ils ne confondent authentiquement les vessies avec les lanternes, à moins qu’ils ne soient les dupes rêvées des miroirs aux alouettes en tous genres, les journalistes sont bien souvent des mystificateurs, des illusionnistes qui semblent essentiellement se concentrer sur l’actualité de seconde zone, celle qui ne fait pas l’histoire. Leurs annonces ont le plus souvent « un destin de feuilles mortes ». Mais peu leur chaut pourvu qu’ils brassent le vent dont ils se réclament! Au même titre qu’il y a ceux qui auraient très bien pu ne pas vivre sans que cela ait la moindre incidence sur le déroulement du monde, au même titre autrement dit qu’il il y a les éternels « figurants de l’histoire », il y a les faux-événements, de ceux que les journalistes créent de toutes pièces et qui, se faisant, les propulsent (et peut-être est-ce là leur vœu le plus secret), dans la périphérie des démiurges, des artisans « faiseurs de monde ». Car les journalistes « font » le monde à leur image, à moins que ce ne soit, aujourd’hui principalement, à l’image de l’économie de marché, beaucoup plus qu’ils ne nous renseignent sur lui. En ce sens Gide pourrait ne pas avoir raison, car, bien plus que la réalité mineure dont ils font leur ordinaire, il y a celle qu’ils créent et qui, par le truchement de leur puissance suggestive, participe activement de celle sur laquelle ils sont censés nous renseigner, et ce faisant, dure au-delà du lendemain. Il ne fait pas allusion au copinage journalistique et aux bakchichs informationnel qui ne font pas sa spécificité, non, les pots-de-vin existent dans tous les milieux. Il ne parle pas plus des affinités politiques des uns et des autres qui constituent possiblement autant de grilles de lecture déformantes, non ; il attire notre attention sur la capacité des journalistes à masquer habilement la forêt avec l’arbre du moment choisi; l’ennui, c’est qu’ils choisissent le moment et l’arbre et succombent à chaque pas aux engouements de rigueurs, aux indignations entendues et se font, plus souvent qu’à leur tour, les complices inconscients et manipulés de l’idéologie dominante.
Ai-je bien répondu ?
© Thierry Aymès