Si vous êtes né(e) au sein d’un couple qui, de toute évidence, n’aurait pas tenu sans vous, il y a de très fortes chances pour que vous en ayez payé le prix.
Vous me répondrez que de nos jours, les couples ne s’embêtent plus avec ce genre de situations et se défont à l’avantage d’une famille recomposée beaucoup plus harmonieuse. Ce n’est pas faux. Mais il reste quelques irréductibles qui, coincés entre tradition et qu’en-dira-t-on, préfèrent encore sauver les apparences. C’est aux enfants de ces derniers que je pense; qu’ils soient jeunes ou moins jeunes.
En effet, comment aimer un être qui nous a « piégé », le plus souvent en arrivant par accident ? Si les parents ne restent ensemble que par moralité, si l’un ou l’autre (le plus souvent la mère) reporte, qui plus est, sur lui tout l’amour qu’il n’éprouve plus pour son conjoint. L’enfant engrammera presque à coups sûrs un sentiment de culpabilité, une crainte exacerbée du père-rival (ou de la mère-rivale) et développera de nombreuses pathologies liées aux ressentiments inévitables de ses parents à son égard. Ils auront beau dire et beau faire, les antennes de l’enfant capteront sans faillir les moindres soubresauts de chacun et celui-ci se sentira immanquablement menacé d’abandon.
Alors… Peut-être deviendra-t-il indocile, rebelle, marginal pour se donner « inconsciemment » une raison valable de l’impression d’indésirabilité qui sera la sienne. Il pourra alors penser : « Mes parents ne m’aiment pas à cause des bêtises que je fais, de mes mauvaises notes, de mon indiscipline etc. », au lieu de : « Ils ne m’aiment pas, parce qu’ils m’en veulent d’être venu au monde ».
Ainsi rationalisé, ainsi justifié, son mal-être sera-t-il plus ou moins supportable, moins radical.
En un sens, et dans le meilleur des cas, ses parents confondront possiblement « amour » et « culpabilité de ne pas aimer ». Ils oscilleront alors entre un rejet plus ou moins frontal, plus ou moins masqué et des excuses tendrement formulées, tout en ne manquant pas de transmettre cette ambivalence à leur progéniture par le biais d’un très puissant « non-dit ».
Ce faisant leur enfant se construira de travers… Et la question de l’amour sera la seule de toute sa vie.
Il « fera » ce qu’il croira devoir faire pour recevoir ce dont il manque, et ce ne sera jamais suffisant. Il confondra « être » et « faire » tout en pressentant confusément qu’il devrait être aimé, non pas pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est. Il aimera comme il a été aimé… mal. Il cherchera l’amour inconditionnel, mettra ses conjoint(e)s à l’épreuve pour s’assurer de la profondeur de leurs sentiments, jusqu’à ce qu’il soit réparé par une manière de miracle auquel il tardera à croire.
Et pourquoi tardera-t-il ? Parce que ses parents ne peuvent pas ne pas l’avoir aimé sans raison valable. Parce qu’ils ne sont pas des êtres humains comme les autres, parce qu’ils sont des… dieux… Infaillibles. La traversée de cette certitude, la percée de cette illusion, un temps salutaire, aura flâné.
Il aura construit une forteresse, un château, un palais… Il aura accumulé une montagne de preuves de sa valeur, de son amabilité, et un jour une femme ou un homme n’en aura que faire… Quelqu’un l’aimera d’avant sa naissance, juste parce qu’il est.
© Thierry Aymès