« Aimer, c’est trouver sa richesse hors de soi » (Emile Chartier, dit Alain/1868-1951)
Cette citation m’en rappelle immédiatement une autre. « L’amour fait grâce à l’homme de s’appartenir hors de ce qu’il est » ; elle est de Joë Bousquet, un magnifique poète carcassonnais de la première moitié du 20ième siècle. J’avais 18 ans lorsque j’achetai mon premier livre de ce grand homme : « La connaissance du soir ». Dans une petite librairie du Puys–en–Velay. Je me souviens de Cathy qui m’y avait accompagné. Je ne l’aimais pas exactement. Elle était jolie. Je lui avais immédiatement préféré ce recueil. Je l’ai perdu et racheté combien de fois ?
Mais il s’agit d’Alain et de ce qu’il nous dit ici de l’amour. Il nous parle de richesse, mais de quelle richesse est-il question ? De celle que l’on ne possède pas bien sûr; de celle qui se dessine en creux. Juste un peu plus loin dans la phrase, il précise sa pensée « …je dis sa richesse intime… » Si j’osais, j’ajouterais « extimement intime » en ce que l’amour n’a pas de lieu où se substantifier.
Non ! ou plutôt oui ! L’amour nous rend paradoxalement riches d’être pauvres, c’est à dire sans dedans ; il est un pur dehors et nous rend riches de nous arracher aux grimaces d’un ego psycho-rigide : riches de n’être ni identité, ni crispation, mais vent…un vent sur le visage de l’autre.
Là encore, pardonnez-moi, me revient une phrase de Sartre cette fois-ci ; une phrase qui ne parle pas de l’amour, mais de la…conscience. Ce qu’il en dit est étrangement semblable à ce que nous pourrions dire de l’amour : « …la conscience est claire comme un grand vent, [qu’]il n’y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi[1] »
Aimer, c’est trouver, sans l’avoir cherché, son salut dans une incessante course vers un ailleurs. Aimer, c’est être ravi, au sens où le « ravi » est bien victime d’un rapt commis par un ravisseur ou bien plutôt par une « ravissante » ou un « ravissant » quel qu’il soit. Reste à se tenir toujours disposé(e)s à l’envol, au départ, au voyage, à la bohème.
© Thierry Aymès