Le Bonheur est un bien qui se suffit à lui-même. (Aristote).
Ouf ! Le bonheur existerait donc bel et bien. Avouons qu’il nous arrive souvent d’en douter; cependant sachons que, contrairement à ce que son étymologie nous suggère (bon-heur = bonne chance), à savoir qu’il serait à espérer comme l’on espère le gros lot, il pourrait bien se faire que nous soyons condamnés à le vouloir avec une détermination inflexible et non à le recevoir comme l’on reçoit la manne céleste.. Disons même avec force que c’est ce que Aristote tient à nous faire comprendre.
Le Bonheur est recherché pour lui-même. Tout ce que nous faisons, nous le faisons dans le but d’être heureux, c’est l’unanime théorie des eudémonistes de l’antiquité grecque. Alors que chacune de nos activités, chacun de nos projets n’est qu’un moyen pour atteindre le Bonheur, alors que chacun de nos efforts ne tient sa valeur et son sens que de cette destination ultime, le Bonheur lui est une fin en soi qui dès lors ne tend vers rien d’autre que lui-même et…à proprement parler ne sert à rien. Il est la fin suprême. Toutefois, il ne s’agit pas de le chercher n’importe où et n’importe comment. Celui qui pense le trouver en choisissant de vivre le plus souvent possible les plaisirs de la chair se trompe. De même celui qui court après la célébrité. Encore faut-il qu’il active et pratique assidûment ce pour quoi il est fait.
Pour bien comprendre, demandons-nous pour commencer quelle est la fin dernière de l’oreille par exemple ? Quelle est sa spécificité ? Autrement dit, pour quoi est-elle faite ? Pour entendre répondrez-vous, et vous aurez raison. Et une oreille qui entend, ou plus exactement une oreille qui permet à tel individu d’entendre, réalise sa fonction à la perfection, répond excellemment à sa spécificité.
Demandons-nous à présent quelle est la fin dernière de l’homme. Pour répondre à cette question, nous devons donc rechercher sa spécificité, et, si nous devons en croire Aristote, elle n’est autre que le fait d’être un vivant rationnel. Entendons par là qu’il possède la Raison. Certes a-t-il d’autres qualités, mais il les partage avec les animaux, et en tant que telles, elles ne sont pas sont propre. S’il veut être heureux, il devra donc s’employer à activer ce pour quoi il est spécifiquement fait, à savoir sa Raison.
Ajoutons à cela que la Raison a deux façons d’être active : elle peut d’une part se livre à la pure connaissance autrement appelée théoria, et d’autre part, régler l’action humaine que le philosophe divisera à son tour en action productrice (poièsis) dont la fin sera extérieure à l’agent (dans l’art et la technique) et en action pure (praxis) qui aura sa fin en elle-même (l’amitié par exemple) ; le tout régi par la vertu quant à elle acquise par une ferme disposition à bien agir et qui consiste en un juste milieu déterminé par la Raison de l’homme prudent. Si donc vous tenez toujours à être heureux, vous savez à présent que le bonheur se gagne durement. A bon entendeur salut !
Thierry Aymès