Il y a depuis toujours ce que j’appelle la « force d’inertie psychologique ». Elle nous emporte longtemps après que nous avons appuyé sur la pédale de frein. Il ne suffira pas d’en prendre conscience. La magie n’existe que spectaculaire, à moins qu’un miracle ne survienne… Elle n’opère pas au double sens de ce terme.
Notre enfance est le plus souvent une boue qui reste collée à nos basques jusqu’au tombeau. Nous ne vieillissons qu’en surface. Pour les autres, beaucoup… Et si peu à nos propres yeux.
Avez-vous dû mériter l’amour de vos parents que vous ne comprendrez pas qu’une personne dise vous aimer pour ce que vous êtes. Vous n’aurez de cesse de lui demander : « Mais que suis-je donc, si je ne suis pas ce que j’ai fait ? si je ne suis pas « ce que j’ai fait de moi » pour résister au chantage, à la menace dont j’ai d’emblée été l’objet ?». Oui, vous avez bien lu. À l’aube même de votre existence, vous avez été l’objet d’une pression, à l’origine même de votre vie.
À peine né, vous avez risqué l’abandon. Alors… Très tôt, vous avez alterné entre docilité et révoltes. Vous avez plus ou moins tardivement collectionnés les bons points et rué dans les brancards en criant le plus fort possible que l’amour, le vrai, ne se méritait pas, que la personne qui vous aimerait devrait supporter vos accès de fièvre, et qu’en un sens, elle devrait… vous mériter.
Au nom de votre peur de l’abandon, il vous est arrivé maintes fois de le risquer. Fatigué de vous construire à partir de plans dont vous n’étiez pas l’architecte, combien de fois avez-vous hurlé : « Tapis ! » à la façon d’un pokerman qui ose le tout pour le tout.
Mais en mettant à l’épreuve l’élu(e) de votre cœur meurtri, vous avez ; l’air de rien, répété le schéma originel à partir duquel vous vous êtes bricolé… pour vieillir de travers. Jusqu’à ce jour, votre identité n’aura été que de compensation.
Vous vous prendrez, ad aeternam peut-être, pour les efforts que vous aurez faits pour mériter l’amour de quiconque. Vous direz l’air de rien : « Je suis mes diplômes, mes médailles, les livres que j’ai lus, ceux que j’ai écrits, les langues que j’ai apprises, celles que j’ai inventées. » et dans un même temps, vous enverrez paître toute cette quincaillerie, cette pacotille tellement commode aux imbéciles.
À ce propos, j’ai été récemment éconduit par un agrégé de lettres hors-classe, latiniste, docteur en philosophie, intervenant sur France Culture, chroniqueur occasionnel chez Médiapart et… Auteur-compositeur-interprète dont je ne révèlerai même pas les initiales. Il pourrait le prendre mal (LOL). J’ai eu le tort de ne pas le connaître et de lui dire que ses chansons avaient quelque chose qui demanderait à être plus abouti.
Ni une ni deux, le bonhomme a réagi par une émoticône rieuse aux éclats et m’a bloqué à la façon de n’importe quel adolescent. J’avoue que je n’en avais jamais entendu parler et qu’il en était, selon ses dires, à son quinzième album.
En l’occurrence, force est de constater que l’érudition et la culture ne l’ont pas rendu humble (ce n’est d’ailleurs pas là leur fonction première) et ne fait que crier : « Regardez comme je suis brillant et malheureux ? Donc… Aimez-moi ! » (Descartes revisité par un enfant mal-aimé ). Sur son Wikipédia, il est précisé qui est politiquement engagé à gauche, comme beaucoup d’élitistes qui, bien évidemment, ne se reconnaîtront pas. Ce Monsieur sait-il que ce qui brille n’éclaire pas ?
©Thierry Aymès