SAINT PAUL RICOEUR

« Le chemin le plus court de soi à soi passe par autrui ». (Paul Ricoeur).

Très belle formule de ce grand philosophe français que l’existentialisme chrétien intéressait grandement.

À cette phrase sublime, nombre d’entre nous pourraient souscrire, mais il y a un « mais ».

Savoir n’est pas pouvoir; savoir n’est en somme qu’intuiter et dans un même temps être saisi par le très célèbre passage de la lettre aux Romains où saint Paul écrit : « Je ne réalise pas le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne voudrais pas ». C’est alors que retourner le triangle qui pointait vers le ciel s’avère nécessaire…

© Thierry Aymès

SI MARIE SAVAIT

(UN EXTRAIT DE MON PROCHAIN LIVRE)

Si Marie savait ce qui se passe parfois dans la tête de Paul quand ils sont en train de manger ou lorsqu’ils marchent dans la rue, main dans la main… Elle ne s’en doute certainement pas et l’on pourrait croire que c’est tant mieux.

Il se souvient de la chanson « Idées noires » de Bernard Lavilliers en 1983. Nicole Grisoni, alias Nicoletta lui demande : « Où es-tu quand tu es dans mes bras ? Que fais-tu ? Est-ce que tu penses à moi ? ». Dans les bras de Marie, Paul pense parfois à Séfa… À leurs ébats…À son corps, son avidité, sa disponibilité active. Il a honte, il a peur que Marie ne soit aussi dans les bras d’un autre, alors qu’elle est dans les siens. Sait-on jamais où chacun rêve, par quoi chacun est traversé, chaque seconde, au-dedans, tandis qu’au dehors, les mains se serrent, les sourires et les mots se forment, les regards s’enfoncent l’un dans l’autre. Saurons-nous jamais ? Qu’il y a loin d’elle à lui ! Qu’elles sont nombreuses les images et nombreux les souvenirs qui les tiennent à distance. Ne plus croire aux apparences bien sûr, revenir d’un pays où ne courent que les ombres, prendre acte d’un fait… Au fond, très au fond, ne seraient-ils pas qu’un seul et même désir, qu’une seule inquiétude, tendus, elle vers lui et lui vers elle, vers ce que chacun croit que l’autre est, vers ce que chacun veut que soient les humains… Non pas des êtres à jamais hermétiquement clos, impénétrables, inatteignables, mais des êtres ouverts, et dont la lumière, comme un pari jeté par-delà les façades plus ou moins lézardées, est la juste mesure, la note exacte. Alors, il lui dit tout… Ses cauchemars, ses rêves érotiques, ses obsessions, ses fantasmes, ses mauvaises pensées… Ses ambitions les moins nobles. Il lui dit tout pour qu’elle l’absolve… Pour qu’elle l’aime en entier, pour l’entendre lui dire que ce n’est pas grave. Pour qu’elle soit un ange… Pour croire aux anges.

Puis il théorise parfois : « Aimer qu’est-ce donc si ce n’est croire ? Croire que l’autre est à portée de cœur, ouvert au vent de notre soif la plus initiale ? ». Dans ces moments-là, Marie l’écoute sans vouloir le comprendre. Elle pourrait lui répondre : « Chercher à comprendre revient en un sens à se résigner, c’est déjà assumer tristement l’infranchissable espace entre toi et moi… L’amour ne connait pas l’espace, l’amour n’est pas sage, l’amour n’est pas triste et ne se soumet pas au diktat de la géographie… »… Mais Marie préfère se taire ou lui dire « Je t’aime ».

© Thierry Aymès

NON PAS LA LUNE (08/04/2020)

Si l’on considère l’étymologie du mot « crise », alors nous devons décider aujourd’hui de la suite de cet événement qu’est l’apparition fulgurante du Covid-19 dans nos vies. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’un événement n’est proprement ce qu’il est que dans la mesure où il marque un avant et un après qui, en l’occurrence, dépend très précisément de nous. Allons-nous en revenir à notre ancien modèle dont certains économistes disent qu’il a fait son temps et qu’il était en train de s’effondrer, bien avant que le Coronavirus ne vienne masquer sa chute structurelle ?

Alors, au-delà des soupçons que chacun peut avoir au sujet de l’apparition et la gestion de ce nouveau fléau, au-delà de l’effet d’impéritie qu’exercent sur nous les pouvoirs français, allons-nous saisir cette occasion, ce kairos diraient les philosophes, autrement dit ce moment opportun, cet instant d’inflexion franche pour amorcer ce que j’appellerai pour l’heure un « rétrogrès » (rétrogression), mais qui n’est qu’une façon provisoire de nommer le « bon progrès », à savoir « le progrès arraisonné à la morale », viscéralement attaché au respect d’une certaine vision de l’humain, ainsi que de son lieu d’habitation ?

Depuis le 17e siècle, l’idéologie du progrès nous a progressivement conduits à répondre affirmativement et avec force à la question suivante : « Doit-on faire tout ce que l’on peut techniquement faire ? ». En termes cartésiens, nous aurions pu nous demander s’il était souhaitable de vouloir à ce point nous « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » ou s’il ne suffisait pas de la connaître et de la façonner à peine dans le but d’en obtenir quelques faveurs. À entendre cette interrogation sous un angle strictement technique, il est clair à mes yeux que nous sommes allés bien trop loin et que notre absence de conscience « morale » en même temps que notre esprit clairement prométhéen a depuis longtemps ruiné l’âme du monde. Il n’est que d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte.

Au début du 16e siècle, dans son Pantagruel, François Rabelais nous mettait en garde contre cet écueil et nous ne l’avons pas écouté, pas plus que nous n’avons écouté celles et ceux qui, depuis longtemps, voyaient venir les mauvais temps que nous connaissons désormais.

C’est aujourd’hui plus que jamais que s’engage notre responsabilité. Voulons-nous continuer comme avant la pandémie ? Ou allons-nous tout mettre en œuvre pour changer d’orientation et nous diriger vers un nouveau paradigme économico-philosophico-politique ? Ne voyons-nous pas clairement les effets indésirables des politiques et des idéaux qui ont été déployés jusqu’à présent ? La course aux profits est-elle la seule chose au monde qui vaille la peine que nous nous battions ou devons-nous imaginer ensemble d’autres lendemains ? Le libre-échange est-il une si bonne chose ? La libre circulation des populations au travers du monde ne devrait-elle pas être soumise à plus de précautions ? Savez-vous que grâce (ou à cause) de l’évolution aéronautique, environ 40 millions d’avions décollent chaque année dans le monde, soit à peu près 1 par seconde ? Six millions de tonnes d’hydrocarbure sont déversées chaque année dans les mers, 1,5 milliard de voitures sillonnent notre belle Terre… Bleue… Encore un peu. Et je ne mentionne les usines en tous genres que pour vous laisser imaginer les dégâts qu’elles occasionnent un peu partout. À ce jour, 7,7 milliards d’humains se partagent très inégalement Gaïa et désormais chacun des pays absents de la compétition internationale jusqu’alors désire plus que tout sa part du gâteau.

Pensons-nous encore qu’à continuer comme nous vivions jusqu’ici, nous n’allions pas inévitablement à la catastrophe ? Après nous le déluge ? ! C’est ça ? !

Pour ma part, je suis certain que le Monde tel qu’il allait, courait à sa perte et je suis pour ma part fermement décidé à ne plus participer à la chronique d’un suicide collectif annoncé depuis longtemps. Je pense au monde que nous allions laisser à nos enfants et j’ai honte. Toujours plus de kérosène dans le ciel, toujours plus de bateaux déballasteurs dans les océans asphyxiés, toujours moins d’animaux en liberté, toujours moins d’abeilles, toujours plus d’inégalités entre les peuples, toujours plus d’humains faisant la nique à l’implacable bombe démographique insuffisamment évoquée dans les médias, une pollution galopante, une machinisation de l’humain en passe à un transhumanisme dont certains se réjouissent et qui m’effraie, des projets de terrafication de la planète Mars en désespoir de cause, une mondialisation par l’argent aux antipodes des aspirations spirituelles ancestrales qui elles aussi ont été rattrapées par l’économie de marché, une hyperconnection de chacun avec n’importe qui, tous azimuts, et conduisant paradoxalement à une solitude pulsionnelle croissante ; autant dire, une course effrénée… Vers la mort.

Nous allons très bientôt avoir un premier rôle à jouer. Il est bon dès à présent de s’y préparer. Nous ne devons pas nous contenter d’être des figurants, ni même d’être réduits à une simple vague de contestation dont, vue de l’étranger, certains pourraient dire que nous en sommes les spécialistes et qui serait bientôt rangée dans les tiroirs poussiéreux de l’Histoire. Très vite, des mesures seront à prendre qui ne plairont pas à beaucoup, mais l’heure n’est plus aux idéologies. À la lumière des jours que nous vivons, il me semble clair que l’Europe politique n’a jamais été qu’un fantasme et que, de fait, un repli national s’opère déjà sur l’impulsion étonnamment « patriotisante » d’un poison nanométrique en provenance de la plus grande usine du monde. « La chine s’est éveillée » qui est venue nous toucher au cœur, entendez au « portefeuille » et a mis hors circuit un peu partout sur notre territoire un bon nombre de PME impuissantes à rivaliser, sans parler des GAFA tentaculaires à l’appétit dévastateur qui ont savamment accompagné ce désastre.

Le temps est donc au reflux, à la retraite, à la raison, à la reprise et la maîtrise de soi et des aspirations les plus mégalomaniaques des « trop imparfaitement humains » que nous sommes. Le temps est à l’humilité, et quand on se rappelle que le mot « humus » est à la racine de ce dernier terme qui permet également la forge de celui d’homme, sans doute devons-nous désormais faire acte d’allégeance à l’égard de celle que les Amérindiens appellent Mother Earth (La terre mère) et que nous martyrisons à cause de notre incapacité à la regarder, au lieu du doigt que de plus en plus de personnes pointent pourtant dans sa direction.

Non pas « viser la Lune » donc, mais la Terre et les terriens en fraternité autant que possible, dans le respect du travail auquel chacun a droit. Le libéralisme était en train de nous tuer, tuons-le avant qu’il ne soit trop tard.

© Thierry Aymès

JUSTICE ET MÉDÉANIMIE

Au 4ième siècle av. J.-C, Aristote distinguait deux formes de justice :


1 – La justice commutative
2 – La justice distributive

La première n’établit pas de distinctions entre les personnes et fonctionne de façon arithmétique.

La seconde fait cas des inégalités entre les individus. Toutefois, elle repose originellement sur la notion de « mérite » à laquelle le médéanimiste ne souscrit pas. Considérant que chacun n’est pour rien dans ses forces morales, laborieuses ou sa volonté, pas plus qu’il n’est responsable de sa beauté, son intelligence ou quelque aptitude personnelle que ce soit; considérant en d’autres termes que les inégalités sont « de naissance » et ne doivent pas être cultivées par un système économico-politique, le médéanimiste s’attachera au contraire à les atténuer autant que faire se peut dans son domaine et adhèrera à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « la justice sociale » visant prioritairement à gommer les inégalités matérielles.
Cette posture ne fait pourtant pas de lui un être naïf, sans lucidité quant à la nature humaine. Il prend le partie de l’équité sans être la dupe des manigances dont il pourra être l’objet.

DE L’IRRÉFUTABILITÉ

Paul me dit : « Rébéka est comme ça. Quoi que tu fasses, elle restera comme ça ! ». Le moins que l’on puisse dire est que la jeune femme n’a aucune grâce à ses yeux. OK… C’est son point de vue… Sa thèse. Je lui demande quand même : « Tu penses vraiment qu’elle ne changera jamais ? ». « Non ! Jamais. Même si elle te donne le sentiment d’avoir mis de l’eau dans son vin ou d’avoir évolué en bien, elle restera la même toute sa vie. Méfie-t’en ! ».
De ce très bref dialogue surgit une idée que je trouve intéressante. La voici :
Je remarque qu’il y a une similitude entre le fonctionnement de Paul et les psychothérapies dont on dit qu’elle ne sont pas scientifiques dans la mesure où elle sont irréfutables.


Vous allez comprendre ce qu’il faut entendre par « irréfutables ».


Quoi que fasse ou dise Rébéka, Paul fera en sorte que son opinion à son sujet soit toujours valable. De même, dit-on que la psychanalyse (par exemple) retombe toujours sur ses pattes. Sa thèse première ? Il existe un Inconscient personnel et relativement à cette hypothèse, votre psychanalyste pourra toujours dire que vous faites ceci ou cela pour une raison qui vous échappe.
Si j’en reviens au point de vue de Paul sur Rébéka, tentez de lui prouver qu’il se trompe sur elle, vous l’entendrez vous dire qu’elle vous a bien eu et qu’elle est d’autant plus ce qu’il en dit qu’elle est parvenu à vous faire changer d’avis. Dites à un psychanalyste que vous ne croyez pas un mot de ce que Freud a écrit et vous serez considéré comme l’exemple même des personnes qui devraient entrer en analyse. Votre suspicion à l’endroit de la théorie freudienne est une raison suffisante pour être illico muté en un patient idéal.
Si, selon le philosophe Alain Boyer : « Une connaissance scientifique doit pouvoir être exactement et intégralement transmissible par un discours », il est clair que les psychothérapies en général ne sont pas scientifiques dans la mesure où elles s’appuient le plus souvent sur des paramètres qui ne peuvent être que vécus, éprouvés, ressentis.
De même, Paul dira-t-il de Rébéka qu’il ne peut pas absolument prouver ce qu’il en dit, mais qu’on doit se fier à son intime conviction qui ne relève pas d’une étude stricte du personnage, mais d’une intuition que nous tiendrions pour incontestable si nous avions eu la même.
Sur ces bases-là, Rébéka n’a aucune chance de prouver à Paul qu’il se trompe sur elle, tout ce qu’elle dira pour se réhabiliter à ses yeux sera perçue comme une manœuvre destinée à le tromper. De même, telle personne n’a-t-elle aucune chance de faire entendre à un psychothérapeute quelconque le problème que pose l’irréfutabilité de l’appareil conceptuel auquel il adhère, il sera immédiatement soupçonné de… « Résistance » avec tout ce que cela implique.


Attention donc aux esprits animés par ce qu’en psychologie on appelle un biais cognitif de confirmation qui les pousse inconsciemment à privilégier les éléments en faveur de leurs préjugés ou de leurs hypothèses et à laisser de côté tout ce qui pourraient les faire changer d’avis. Ce biais pourrait en définitive révéler une incapacité à prendre acte de l’hypercomplexité de toute chose en même temps qu’une tendance à réduire le désir de vérité dont le mouvement est l’essence à un discours hypercohérent dont la puissance tiendrait plus de son harmonie interne que de son rapport à ce sur quoi il est censé nous renseigner. J’ai conscience que cette dernière phrase n’est pas simple, je vous invite à la relire.

© Thierry Aymès

MOURIR DE N’ÊTRE QUE NATURELS (12/04/2021)

C’est une évidence, le projet transhumaniste est à l’horizon de cette « crise sanitaire » que notre président, avec d’autres, saisit comme une opportunité bénie. Elle est désormais le vecteur accélérateur de l’avènement de l’homme « augmenté ».

D’ici 2 décennies au plus tard, les ultra-riches pourront s’acheter toutes sortes de prothèses et d’implants pour optimiser leurs performances et rester du bon côté du manche, tandis que les autres, désormais infirmes de n’être QUE naturels, resteront à la traîne et continueront de mourir à 80 ans. Bientôt la mort ne sera plus qu’une maladie réservée au petit peuple et plus que jamais l’argent sera le nerf d’une guerre perdue d’avance pour les démunis. Les G.A.F.A.M travaillent nuit et jour à ce nouveau monde pendant que nous rêvons à la mer ou aux soirées que nous pourrions passer entre amis. C’est la première fois qu’un être vivant à la possibilité de participer à ce point à sa propre évolution. Charles Darwin n’avait pas imaginé cette sélection (non-naturelle)-là. Je vous laisse imaginer le reste.

LES RÉVOLTÉ.ES NUMÉRIQUES

De nous jours, les révoltes se font sur Facebook ou Instagram au lieu de remplir les rues. Les pétitions « pour ou contre » circulent et ne servent à rien. Le numérique nous affaiblit tous les jours un peu plus et continuera sa course jusqu’à l’effacement total des peuples tristement périssables au profit des dirigeants qui, à coups de millions, gagneront une quasi-immortalité qui ne sera pas sans rappeler celle des Highlanders. Ce que j’affirme est dans les tuyaux des G.A.F.A.M depuis l’invention du numérique en 1971. Nuit et jour, des génies de l’informatique travaillent à cet évolutionnisme-là. Le néo-darwinisme n’est autre que la modification de l’humain par l’humain en direction de l’hypra-performance rentable. Ils n’ont que faire de la spiritualité telle qu’elle nous est vendue par les médias et qui, entre parenthèses, fait de nous, et avant toute chose, des êtres passifs face à ce qui advient inéluctablement.

© Thierry Aymès

LA RAISON EN DANGER

« La possession du pouvoir corrompt inévitablement la raison. » (Emmanuel KANT/1724-1804)

Pourquoi la possession du pouvoir corromprait-elle inévitablement la raison, cette dernière n’est-elle pas précisément par définition extérieure à toute forme d’influence, à toute espèce d’intérêt ? N’y a-t-on pas recours dans le but d’échapper à toutes sortes de turbulences ? Le sens de l’appareil judiciaire, par exemple, n’est-il pas de garantir la justesse d’une décision en dehors de tout parti pris affectif ou idéologique ? Quid de la citation kantienne dans ce cas ? La possession du pouvoir serait-elle une exception à la règle ? et pourquoi ?

Avant toute chose, demandons-nous ce qu’est le pouvoir ? Vaste question à laquelle je n’ai pas l’outrecuidance de répondre ici de manière exhaustive. De très nombreux livres ont été écrits sur ce sujet qui le font mieux que je ne suis sur le point de le faire moi-même à cet instant. Je me limiterai donc à une définition que la phrase paraît impliquer. Gageons que le terme est ici à entendre comme suit : le pouvoir est une autorité, une puissance de droit ou de fait, la situation de ceux qui gouvernent, et excluons d’emblée l’empire que nous pouvons au cas échéant exercer sur nous-mêmes. Posséder le pouvoir serait alors être en possession de cette puissance, de cette autorité sur les autres. Que je sois dictateur, Président de la République, PDG d’une entreprise ou moniteur d’auto-école, il est en mon pouvoir de décider à la place de…Je peux par exemple faire exécuter telle personne ou la gracier, jeter en prison telle autre ou le laisser en liberté, licencier mon commercial ou l’encourager et recaler mon apprenti conducteur (tout ceci avec plus ou moins de facilité en fonction du pays où je réside) ou faire preuve d’indulgence, bref… Existerait-il alors comme une griserie du pouvoir qui viendrait altérer la réputée droiture impeccable de la raison en la faisant agir en vue de le maintenir en lieu et place et non par pure nécessité[1] ? Être en mesure d’avoir le pouvoir sur les autres occasionnerait-il un dérèglement, une perversion de la raison qui, dès lors ne serait plus à même de délibérer de façon désintéressée ?

Dans ce cas, force serait de constater que la raison dont semblerait pouvoir théoriquement émaner quelque maxime universelle, quelque impératif catégorique, ne serait pas hermétique à toute remontée, à tout retour, non pas du refoulé, mais de ce que l’homme contiendrait de trop humain, à moins que ce soit de trop animal : j’ai nommé le désir de tout pouvoir à tout moment, et surtout le désir de pouvoir réaliser tous ses désirs ; je dis bien tous, sans exception !

Or, si autant qu’il m’en souvienne, le bonheur est, selon Kant, irrémédiablement désuni du devoir ; si tout devoir visant le bonheur est destitué en tant que devoir par le fait même de sa visée. Si, plus généralement, tout devoir intéressé n’en est plus un pour autant qu’il lorgne du côté des conditions (Bonheur, Pouvoir, Argent, Reconnaissance etc) par delà les propositions rationnelles inconditionnelles (j’agis comme il se doit, non pas pour telle ou telle raison en filigrane, mais parce que la raison m’y oblige sans condition), alors le pouvoir, tout comme le bonheur, peut bien constituer une raison de la raison, son sens vicié.

Je décide à la place de…disais-je, et ce faisant, j’étends ma sphère subjective jusqu’à embrasser tout l’univers, jusqu’à connaître la liberté de nier à tout bout de champ l’existence même d’un désir adverse et potentiellement frustrant. Plus on a de pouvoir sur les autres et moins on est capable de vivre la frustration que génère une résistance. Freud, 100 ans plus tard, eût pu dire qu’à l’instar de son Inconscient qui ne connaît pas sa finitude et recherche exclusivement son plaisir, tout homme est enclin à se laisser enivrer par le pouvoir jusqu’à en faire effectivement le sens même de ses décisions, dès lors inévitablement corrompues au sens kantien. Je décide à la place de…pour pouvoir continuer à décider à la place de…voilà l’écueil, le cercle vicieux auquel, semble-t-il, nul être ne saurait échapper. Kant pessimiste ? Peut-être un peu quand même. La Raison kantienne ignore peut-être les raisons, mais l’homme, selon toute vraisemblance, la dédaigne plus souvent qu’à son tour.

Sans doute est-il louable de souhaiter, plus loin encore que le philosophe des lumières, que chacun puisse un jour se gouverner lui-même dans le respect d’autrui, et atteigne enfin sa majorité sous l’égide d’une Raison souveraine, mais il n’est pas idiot de penser que l’anoxie enivrante de cette cime-là n’est pas près d’être atteinte.

© Thierry Aymès

BLAGUE LACANIENNE

(CETTE BLAGUE EST DE MON CRU))

Le psy demande à sa patiente :

  • Avant de prendre leur retraite, que faisaient donc vos parents ?
  • Ils ont été mêdecins.
  • D’où sans doute votre horreur pour les glandes mamères.
  • Pourquoi me révélez-vous un tel secret au sujet de votre génitrice ?
  • Un secret ? Quel secret ?
  • Et vous ! D’où vient cette conclusion étrange que vous tirez de la profession de mes parents ?

© Thierry Aymès