LA VRAIE SCIENCE

« La vraie science est une ignorance qui se sait. »  (Montaigne).

Bien avant Montaigne, Socrate ne disait-il pas « Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien » ?  Qu’est-ce alors que savoir ?

Comme bien souvent en philosophie, les deux formulations nous sont offertes sous la forme d’un paradoxe qu’il faut dépasser vers une compréhension dont seule l’intuition peut avoir le secret.  La « vraie science » sous la plume de l’auteur des Essais suppose logiquement une « science fausse », une science érigée en dogme qu’il ne s’agirait plus de questionner.  Ne resterait plus alors qu’à la transmettre, voire à l’imposer, quand l’essentiel est sans doute de cheminer « vers nulle part » ; le chemin se confondant avec le but.  A quoi bon ? me direz-vous.  Si rien ne peut être su, si ce n’est notre définitive impuissance à savoir, si nulle vérité ne peut être atteinte, à quoi bon apprendre en effet ? Une certaine conception du savoir impliquant l’identité de l’Être, la permanence du réel, la fixité de tout, sans doute Montaigne avec Socrate supposent-ils au contraire, le flux incessant d’un devenir qui transforme à chaque instant ce qu’il touche, rendant ainsi impossible quelque savoir que ce soit, entendu classiquement.  Comment pourrions-nous en effet connaître ce qui, d’un moment à l’autre, ne se ressemble pas ? Nous sommes conséquemment en droit de nous demander si l’identité des choses ne serait pas une illusion, et, ce faisant, nous ne serions pas les premiers à nous le demander.  Mieux ne vaut-il pas alors s’immerger dans ce changement même afin de connaître de façon im-médiate le mystère  de la vie ?  Certes la croyance en un Être est-elle rassurante en ce qu’elle permet le repérage, au même titre qu’une limite quelconque nous y autorise.  Certes est-il plus commode de souscrire à l’existence d’un point fixe pour croire en la possibilité d’un progrès quel qu’il soit.  Mais Blaise Pascal par ailleurs n’écrivait-il pas : « L’infini est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ? ».  Autant dire que dans ces conditions, nul n’est en mesure d’avancer ; tout mouvement ne tenant son statut que son rapport à un point immobile.  Réaffirmons-le, « savoir », au sens classique, pourrait bien n’être qu’une chimère à ranger au rayon des idoles ; tandis que « savoir » au sens où l’entend Montaigne consisterait à attester à tout moment de notre incapacité à saisir, à contenir, à comprendre ce qui nous excède de toute part et nous emporte, encore que ces « nous » laissent à penser qu’existe bel et bien un être fondamentalement identique à lui-même et qui serait la condition de possibilité de tout changement.  Nous notons au passage que notre langue est de part en part traversée par cette conception dominante.  Croire au « savoir », n’est-ce pas finalement se faire l’apologiste du mort contre le vivant voué à n’être jamais ce qu’il est ?  « La vraie science » prend acte de l’essentielle mobilité du réel.  La « fausse » est nécrophile.  La seconde cueille une fleur pour mieux l’étudier quand la première n’y touche pas et grandit avec elle.  A tout prendre, « la vraie science » choisit de se sacrifier sur l’autel d’un foyer incandescent où l’homme se fait co-opérateur.  A la réalité pétrifiée des objets, à la froide pierre volcanique de ce qui serait à connaître, elle préfère la réellité poétique et démiurgique de la forge principielle, autrement dit, la co-naissance considérée dans son sens étymologique.  A moins qu’avec Héraclite nous pensions qu’il n’y a qu’une chose qui ne change pas…le changement lui-même, savoir, communément, s’avère utopique, bien que commode. « Que puis-je savoir ? » questionnait Kant deux siècles plus tard; « …que je ne sais rien. » ; docte ignorance.   

© Thierry Aymès            

LE SUJET SOUVERAIN

Une graine pour le Sujet souverain (un long extrait de mon ouvrage intitulé : « Textes en graines ».

Au sens strict, JE ne suis pas toutes les pensées qui me traversent en tant que conscience ; je ne suis rigoureusement pas « Sujet » de toutes CES pensées. En un sens, elles sont originellement orphelines ou naissent sous X. J’en suis dans le meilleur des cas le père adoptif. Je n’en suis pas le géniteur au sens « génésique » du terme. Elles sont encore moins des émanations du Verbe tel que l’Ancien Testament nous le présente : le Memrâ. Elles s’imposent à l’espace conscientiel que je suis et, en tant que telles, me sont adventices. Friedrich Nietzsche le sait bien qui mentionne cette évidence au chapitre XVII de Par-delà Bien et Mal : » Une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux. »

Certaines sont récurrentes, obstinées, obsessionnelles et fonctionnent à la façon d’un trou noir dont la densité du champ gravitationnel tend à avaler l’espace conscientiel, la « clairière » la fine pointe du Réel que Je suis.

Dès lors, dois-je continuer à les appeler « pensées » ? Ne sont-elles pas plutôt des représentations en provenance d’un hier, toujours ; des images compulsives et dévoratrices, symptomatiques d’une activité psychique étrangère à une subjectivité souveraine ?

Nous y voilà ! La « subjectivité souveraine » n’est alors que la qualité spécifique du Sujet dont le propre est étymologiquement d’être l’indépassable « point-toujours-plus-bas » de nos représentations. Je dois entendre par là qu’en tant que Sujet, Je suis toujours plus en deçà de mes représentations. Je pense au sublime « Très-bas » de Christian Bobin (1 992) qui fait probablement de Dieu, l’Être, souverain d’être LE Sub-jectum, le « Sujet-souche » par excellence dont, aux yeux de cet immense écrivain, saint François d’Assise est l’humble représentant.

Je suis cet indicible soubassement ontologique juste à côté du Sujet absolu, ce grand Sujet causa sui et éternel ; la Cause et l’Effet, jetés ensemble, l’Alpha et l’Oméga, le Commencement et la Fin.

Tout se passe donc comme si ces pseudo-pensées cherchaient à « avoir lieu », s’évertuaient à élire domicile en l’espace conscientiel que je suis. Mais l’espace n’est pas le lieu. Il est la condition de possibilité de tout lieu.

En tant qu’espace conscientiel, je dois me concevoir comme une « forme illimitée, absolument contenante et unificatrice »; une forme illimitée et cependant en péril, dans la mesure où JE suis à chaque seconde susceptible de m’abîmer dans ce qui cherche à « avoir lieu ». En d’autres termes, « se méfier de la gravité puissamment attractive de certaines pseudo-pensées dans la mesure où elles peuvent incompréhensiblement aspirer l’espace qui les contient. Les « représentations compulsives et adventices » sont périlleuses en ce qu’elles cherchent à se substituer, en tant que lieu, à l’espace que Je suis… Toujours plus en deçà.

Idéalement, qu’est-ce alors que « Donner lieu » ? Demanderez-vous. C’est autoriser une pensée à élire domicile dans cet espace que nous sommes à la condition expresse qu’elle le laisse à son dynamisme, à sa vitalité, à sa liberté. « Donner lieu », c’est offrir sa chance à un Moi, authentique de se constituer en ne perdant rien de l’espace qui en est la condition d’existence.

CONSEIL : Ne pas adhérer automatiquement à chacune des pensées qui traversent notre esprit ; elles viennent le plus souvent du passé et n’ont QUE la force prodigieuse de son inertie.

Au même titre qu’un objet lancé dans le ciel n’est pas vivant, au même titre qu’il serait erroné de croire qu’il l’est sous prétexte qu’il se déplace devant nos yeux, il existe des pensées en trompe-l’œil, des pensées mortes, dévitalisées, exsangues, des pensées désertes, de ces déserts de terrains vagues, désaffectés ; des pensées qui tombent et s’agglomèrent en un point de chute pour se constituer en ce que je dis être… Psychologiquement… Moi.

Le plus souvent, le Moi n’est rien d’autre que l’unité et le nom de cet amas, de cette somme de pensées inertes. Il est le résultat d’un ARTE povera, sans talent, parce que sans sujet. Il est une œuvre sans auteur et donc sans signification. Ce point de chute n’est cependant que le simulacre d’une indépassable limite inférieure, et les pseudos pensées qui s’y amoncellent sont semblables à ces apnéistes un peu présomptueux qui se voient condamnés à remonter à la surface plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu sous peine d’être absorbés par les abysses sous-marins.

Le Sujet quant à lui est toujours plus bas sans être le moins du monde soumis aux lois de la pesanteur ; il est la volatilité même de l’Être, son insoutenable légèreté. Une pensée n’est vivante que pour autant qu’elle jaillit de Sa Présance et s’arrache au fardeau du passé. Une pensée doit être fraîche, énergisante, créatrice, pour mériter ses lettres de noblesse. C’est à l’envol qu’elle engendre qu’on la reconnaît, au sentiment de joie qui l’accompagne. Là est le « Conatus » spécifiquement humain, le « Conatus noétique », ce désir fou de persévérer et croître de l’Être même de ce qui est.

Se démachiner donc, se démécaniser. Travailler à la désagrégation du Moi ; à sa revitalisation. Le désimaginer, le laisser pour compte. Le laisser tomber de son propre poids jusqu’à ce qu’il démissionne de sa prétention à remplir tout l’espace.

Le Moi commun n’est qu’une entité inerte dont la vitesse ou l’immobilité tend à nous faire confondre l’énergie ressuscitante du Réel avec sa réification.


[1] Expression de Malebranche qui désigne ainsi l’imagination (1638-1715)

LE COUPLE (extrait de « Self-interview)

Que représente le couple à vos yeux ?

À la fois l’un des pièges les plus puissants ou s’embourber et le creuset possible d’une heureuse spiritualisation. Piège d’être la plupart du temps le refuge des êtres les moins éclairés, les moins libres, les plus réflexes ; piège d’être le signe d’une tradition qui ne requiert en rien la conscience, mais seulement une tendance naturelle à l’imitation et creuset miraculeux d’une personnalisation de l’un par l’autre, le pari fou que chacun n’existe singulièrement que dans l’entre-deux trinitaire d’une rencontre personnelle. D’un côté, le couple annonce la fin d’une adolescence à entendre comme le mouvement solaire vers soi, le moment d’une métamorphose, d’une croissance prometteuse, et de l’autre, il l’assume et la sublime en direction d’une essence qui n’existe que d’être créatrice d’elle-même.

© Thierry Aymès

16 AOÛT 2019

À entendre la fête s’affoler au loin ; à entendre le grand tambour de la pénia marteler une joie convenue par delà le bruissement des feuilles où je m’évertue à goûter l’existence, je me dis qu’il est une mer où les hommes aiment à se baigner, un appel non pas du large, mais de l’étroit où la peur de la solitude les conduit inexorablement comme à un point de chute sans bobos, comme en un ventre tiède interdisant les visages et les voix singulières. Je me dis que Dionysos est une mère, la nuit qu’elle creuse à chacun de ses pas; je me dis qu’il empêche de naître quand il prétend le contraire; je me dis qu’il fait bon s’y lover; je me dis qu’il met l’amour dans la bouche des timides, de ceux qui n’osent pas aimer, que rien n’est pur et que tout l’est pour qui sait voir avec les yeux d’un dimanche. Je me dis :

« Va ! Rejoins-les ! C’est aujourd’hui la vie. »

© Thierry Aymès

L’INTRUS (poème)

Nous sommes à l’aube d’un jour sans crépuscule

D’un jour sans heures

D’un jour dont il ne resterait que les oiseaux

Et les éclats de rire

Dieu, comme une marée montante

Au flux sans reflux

À la vitesse d’un cheval au galop

« Prière de ne pas apprendre à nager »

Nous sommes de la race des sommets

À mains nues

L’horizon à la place des yeux

Proches à n’en plus finir

Si ce n’était l’intrus

© Thierry Aymès (juillet 1994)

TROIS STADES (non-freudiens)

Au 19ième siècle, un philosophe danois répondant au nom de Soren Kierkegaard établissait une différence entre 3 stades existentiels; les voici:

1 – Le stade esthétique n’est autre que celui de la jouissance, de la dispersion, des caprices, du désir, des possibilités infinies qui empêchent tout engagement véritable.

2 – Le stade éthique est celui du devoir, et par la continuité qu’il implique, il suppose donc un principe d’unité.

3 – Le stade religieux qui, par la foi, situe l’homme en dehors des règles générales, des codes de conduites et lui offre d’établir un rapport singulier avec la personne de Christ, irréductible à l’univers conceptuel…

À quel stade vous situez-vous ?

© Thierry Aymès

LE TRANSFERT

Pour celles et ceux qui ne savent pas ce qu’est le transfert en psychanalyse, sachez qu’il est l’outil privilégié de tout psychanalyste et peut représenter un danger pour lui.

Qu’il soit positif ou négatif (ou les deux alternativement), le transfert est avant tout le fait pour un patient de reporter sur son analyste des sentiments qu’il éprouvait pour l’une ou l’autre des personnes « interdites » et « significatives » de son enfance ; à savoir ses parents directs (le plus souvent). Dès lors, en prenant acte de ce « re-(s)senti », de ce « re-vécu », le psychanalyste va tâcher de donner dans l’après-coup une tournure différente à la relation que son patient entretenait avec eux dans le but de lui permettre une progression vers sa maturité psychique qui suppose un détachement vis-à-vis des personnes qui l’ont élevé ; ainsi qu’une intégration de l’interdit de l’inceste notamment.

Comme évoqué plus haut, il peut arriver que des patients tombent plus ou moins consciemment amoureux de leur psy ou le détestent spontanément, voire soient à tour de rôle traversés par ces deux sentiments et forgent dans un même temps tout un discours, toute une fantasmagorie venant en lieu et place de la vérité de la relation thérapeutique et ce, à l’avantage ou au détriment du praticien.

Dans le cas du transfert positif, il est aisé de comprendre ce qui est en jeu. Dans la mesure où le psy se doit déontologiquement d’être aussi inaccessible que le sont les parents, c’est l’assimilation de cet interdit et la capacité à la frustration, de même que la castration symbolique qui vont devoir être intégrés.

De son côté, le transfert négatif peut être considéré comme le souvenir inconscient d’un sentiment violent à l’égard du gardien du parent désiré. L’objet du désir pouvant être son propre gardien (dans le cas des familles monoparentales par exemple).

Le psychanalyste étant exactement celui que le patient ne saurait séduire, certaines ou certains s’éprennent « précisément » de lui et rejouent ainsi la relation œdipienne initiale. D’aucuns iront jusqu’à refuser cette impossibilité et formuleront plus ou moins clairement leur amour pour leur psy dans l’espoir de le conduire jusque dans leur lit. D’autres, plus pervers, ne supportant pas son refus lui attribueront ce désir par un phénomène de projection (ou de renversement projeté).

Ces mêmes personnes se lancent toujours, semble-t-il, dans des histoires systématiquement violentes et malheureuses, sont attirées par les indécis(es), les maris ou les épouses, les prêtres etc.,  jusqu’au dénouement, à la prise de conscience, à la rencontre qui leur permet d’ouvrir ce cercle… Vicieux.

® Thierry Aymès

AVOIR UNE ÂME D’ESCLAVE

« Avoir une âme d’esclave, c’est ne pas pouvoir être heurté, ne pas pouvoir être commandé. » (Emmanuel Lévinas/1905-1995)

– A la première lecture, je comprends bien la première définition, mais beaucoup moins la seconde. Comment l’esclave ne peut-il pas être commandé, alors qu’a priori c’est bien le commandement poussé jusqu’à son paroxysme qui fait sa condition.

Raisonnons un peu. Qu’est-ce qu’un esclave ? Certainement pas Spartacus qui fut à l’origine d’une révolte servile au Iier siècle avant Jésus-Christ, non ; l’esclave, le vrai, n’est pas rebelle ; il tient trop à la vie. A l’instar de ce qu’en dit Hegel dans sa Phénoménologie de l’Esprit, il choisit une fois pour toute d’obéir à son instinct qui lui commande de se protéger plutôt que de risquer la mort en lui préférant l’idée qu’il se fait de lui-même et qui, de fait, le promouvrait au rang d’homme libre. Son asservissement s’est ontologisé ; entendez par là qu’il s’est inscrit jusque dans son être au point d’y déloger ce qui le distingue des autres vivants.

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Dès lors, qu’un esclave ne soit pas heurté est compréhensible dans la mesure où celui-ci devient, par crainte absolue du maître, comme habitué à ne plus réaliser que le désir de ce dernier. En tant que tel, il n’est plus sujet. Il n’est pas plus objet du désir du maître qui l’utilise comme on use de sa main pour attraper un verre posé sur une table. Sans doute l’objet a-t-il une dignité en ce qu’il suscite le désir d’un sujet, tandis qu’un instrument n’est qu’un moyen situé entre deux pôles, un lieu de passage dont le propre est d’être nié par le sujet vers l’objet désiré. L’esclave est donc comme le bras du maître, et en tant que bras, il n’est pas conscient de son obéissance. C’est en ce sens qu’il ne peut pas plus être heurté que commandé. Pour qu’il y ait commandement, il faut encore qu’il y ait quelqu’un qui puisse y répondre, et la réponse suppose la distance que l’esclave ne permet pas. Dépossédé qu’il est de son « pour soi », arraché qu’il est à sa subjectivité désirante, il n’est dit obéissant que par « anthropomorphisme ». J’utilise ici ce terme à dessein, puisqu’en ce sens, l’esclave n’est pas un homme à proprement parler.

Thierry Aymès ©

QUAND Y A-T-IL AMOUR ?

Vaste question à laquelle il n’est pas aisé d’apporter une réponse et je limiterai la mienne au « champ conjugal ». L’amour est une réalité à plusieurs étages ; un building qui, selon certains, en compterait dix ; du désir cannibale à l’amour oblatif. Je dirais qu’il y a donc un certain amour dès lors que deux êtres, à bout-portant, ont pourtant le sentiment d’être trop éloignés l’un de l’autre… Lorsque, même la distance la plus intime semble être impuissante à résorber l’espace qui les tient séparés. Désir de fusion… De régression sans doute. Un autre amour, plus spirituel, se situe dans un ailleurs où, en un sens, aucun intervalle, aucun vide ne peut exister entre les amants. Rien ne peut les dénouer, alors même que chacun marche vers soi et répond noblement de sa solitude. Quoi qu’il en soit, l’amour est toujours affaire de distance. Il en est le désir de négation ou l’impossibilité.

© Thierry Aymès

RÉBÉKA

Paul me dit : « Rébéka est comme ça. Quoi que tu fasses, elle restera comme ça ! »

Le moins que l’on puisse dire est que la jeune femme n’a aucune grâce à ses yeux. OK… C’est son point de vue… Sa thèse.

Je lui demande quand même : « Tu penses vraiment qu’elle ne changera jamais ? »

– « Non ! Jamais. Même si elle te donne le sentiment d’avoir mis de l’eau dans son vin ou d’avoir évolué en bien, elle restera la même toute sa vie. Méfie-t’en ! »

De ce très bref dialogue surgit une idée que je trouve intéressante. La voici :

Je remarque qu’il y a une similitude entre le fonctionnement de Paul et les psychothérapies  dont on dit qu’elle ne sont pas scientifiques dans la mesure où elle sont irréfutables.

Vous allez comprendre ce qu’il faut entendre par « irréfutables ».

Quoi que fasse ou dise Rébéka, Paul fera en sorte que son opinion à son sujet soit toujours valable. De même, dit-on que la psychanalyse (par exemple) retombe toujours sur ses pattes. Sa thèse première ? Il existe un Inconscient personnel et relativement à cette hypothèse, votre psychanalyste pourra toujours dire que vous faites ceci ou cela pour une raison qui vous échappe.

Si j’en reviens au point de vue de Paul sur Rébéka, tentez de lui prouver qu’il se trompe sur elle, vous l’entendrez vous dire qu’elle vous a bien eu et qu’elle est d’autant plus ce qu’il en dit qu’elle est parvenue à vous faire changer d’avis. Dites à un psychanalyste que vous ne croyez pas un mot de ce que Freud a écrit et vous serez considéré comme l’exemple même des personnes qui devraient entrer en analyse. Votre suspicion à l’endroit de la théorie freudienne est une raison suffisante pour être illico muté en un patient idéal.

Si, selon le philosophe Alain Boyer : « Une connaissance scientifique doit pouvoir être exactement et intégralement transmissible par un discours », il est clair que les psychothérapies en général ne sont pas scientifiques dans la mesure où elles s’appuient le plus souvent sur des paramètres qui ne peuvent être que vécus, éprouvés, ressentis.

De même, Paul dira-t-il de Rébéka qu’il ne peut pas absolument prouver ce qu’il en dit, mais qu’on doit se fier à son intime conviction qui ne relève pas d’une étude stricte du personnage, mais d’une intuition que nous tiendrions pour incontestable si nous avions eu la même.

Sur ces bases-là, Rébéka n’a aucune chance de prouver à Paul qu’il se trompe sur elle, tout ce qu’elle dira pour se réhabiliter à ses yeux sera perçue comme une manœuvre destinée à le tromper. De même, telle personne n’a-t-elle aucune chance de faire entendre à un psychothérapeute quelconque  le problème que pose l’irréfutabilité de l’appareil conceptuel auquel il adhère, elle sera immédiatement soupçonnée de… « Résistance » avec tout ce que cela implique.

Attention donc aux esprits animés par ce qu’en psychologie on appelle « un biais cognitif de confirmation » qui les pousse inconsciemment à privilégier les éléments  en faveur de leurs préjugés ou de leurs hypothèses et à laisser de côté tout ce qui pourraient les faire changer d’avis.  Ce biais pourrait en définitive révéler une incapacité à prendre acte de l’hypercomplexité de toute chose en même temps qu’une tendance à réduire le désir de vérité dont le mouvement est l’essence à un discours hypercohérent dont la puissance tiendrait plus de son harmonie interne que de son rapport à ce sur quoi il est censé nous renseigner.  J’ai conscience que cette dernière phrase n’est pas simple, je vous invite à la relire (LOL).

À très bientôt. Prenez-soin des autres, aussi bien que de vous-mêmes.

La vérité est-elle à chercher du côté de l’expression plutôt que de celui du discours rationnel ?

© Thierry Aymès