LES FEUILLES MORTES

Monsieur Aymès, que pensez-vous de la définition suivante dont André Gide est l’auteur ? “Le journalisme c’est l’art d’accorder de l’importance aujourd’hui à ce qui n’en aura pas demain”.

Que c’est une bonne nouvelle. Le journalisme est quand même un art, entendons ici « une technique », un savoir-faire que tout le monde n’a pas et que certains peuvent se vanter d’avoir acquis ! Il y a des écoles pour ça et tout le monde n’en sort pas nécessairement avec le diplôme convoité. La première fut je crois l’ESJ, créée au tout début du siècle. L’ironie veut qu’elle vit un professeur y enseigner l’économie qui répondait au nom de Charles…Gide, l’oncle d’André. Reste à savoir à quoi sert cette technique. Le moins qu’on puisse dire est que l’auteur (entre autres) de « l’Immoraliste » n’y va pas avec le dos de la cuillère. Sans doute, comme beaucoup d écrivains, n’a-t-il pas résisté à la tentation d’écrire une phrase cinglante.

À moins qu’ils ne confondent authentiquement les vessies avec les lanternes, à moins qu’ils ne soient les dupes rêvées des miroirs aux alouettes en tous genres, les journalistes sont bien souvent des mystificateurs, des illusionnistes qui semblent essentiellement se concentrer sur l’actualité de seconde zone, celle qui ne fait pas l’histoire. Leurs annonces ont le plus souvent « un destin de feuilles mortes ». Mais peu leur chaut pourvu qu’ils brassent le vent dont ils se réclament! Au même titre qu’il y a ceux qui auraient très bien pu ne pas vivre sans que cela ait la moindre incidence sur le déroulement du monde, au même titre autrement dit qu’il il y a les éternels « figurants de l’histoire », il y a les faux-événements, de ceux que les journalistes créent de toutes pièces et qui, se faisant, les propulsent (et peut-être est-ce là leur vœu le plus secret), dans la périphérie des démiurges, des artisans « faiseurs de monde ». Car les journalistes « font » le monde à leur image, à moins que ce ne soit, aujourd’hui principalement, à l’image de l’économie de marché, beaucoup plus qu’ils ne nous renseignent sur lui. En ce sens Gide pourrait ne pas avoir raison, car, bien plus que la réalité mineure dont ils font leur ordinaire, il y a celle qu’ils créent et qui, par le truchement de leur puissance suggestive, participe activement de celle sur laquelle ils sont censés nous renseigner, et ce faisant, dure au-delà du lendemain. Il ne fait pas allusion au copinage journalistique et aux bakchichs informationnel qui ne font pas sa spécificité, non, les pots-de-vin existent dans tous les milieux. Il ne parle pas plus des affinités politiques des uns et des autres qui constituent possiblement autant de grilles de lecture déformantes, non ; il attire notre attention sur la capacité des journalistes à masquer habilement la forêt avec l’arbre du moment choisi; l’ennui, c’est qu’ils choisissent le moment et l’arbre et succombent à chaque pas aux engouements de rigueurs, aux indignations entendues et se font, plus souvent qu’à leur tour, les complices inconscients et manipulés de l’idéologie dominante.

Ai-je bien répondu ?

© Thierry Aymès

LA FAUTE À ROUSSEAU ?

À l’heure où Sandrine Rousseau se vante de vivre avec un homme « déconstruit* », je me pose la question suivante : « Combien de temps encore aura-t-on le droit de dire à une femme qu’on la trouve belle sans risquer d’être condamné par la justice ? ».

« Vous êtes très belle ! » sera bientôt un jugement, si ce n’est pas déjà le cas (par certaines), considéré comme une violence en ce qu’il est réificateur*. Réduire une femme à son apparence constituera très vite un acte machiste intolérable que seuls les (cis)-mâles, piteusement restés collés à l’ère des mammouths continueront de commettre. Nous sommes d’ores et déjà en droit de nous demander s’il y aura encore des êtres qui se diront tout simplement femmes, (cis)-femmes (ou hommes) ? De moins en moins sans doute. Soixante-douze identités de genres étant désormais dénombrées (provisoirement sans doute), l’Éducation nationale s’empressera bientôt de les faire connaître aux plus jeunes qui ne manqueront pas de faire leur marché pour achever le tableau individualiste auquel s’affaire naturellement cette tranche d’âge.

Toutes les minorités sont bien sûr à défendre, mais la marge n’est-elle pas sur le point de devenir la pleine page ? Et l’entreprise déconstructionniste n’est-elle pas au final d’essence européo-bourgeoise, voire capitaliste ? Peut-on encore seulement se poser ces questions sans être soupçonné de fascisme ?

À vos claviers !

© Thierry Aymès

* Un homme « éveillé » (woke) qui a conscience que les notions binaires de femmes et d’hommes sont des concepts philosophiquement et politiquement élaborés ayant originellement pour objectif de maintenir un rapport de domination de la gent dite « masculine » sur la gent dite « féminine ».

* Du latin res (chose). Qui transforme en chose ce qui, de droit, n’en est pas une.

LIEN VERS UN PETIT LEXIQUE DES GENRES : https://www.ellequebec.com/societe/reportages/petit-lexique-des-genres-identites-et-sexualites

VÉNALE ET NARCISSE

Le texte qui suit a été écrit voici 14 ans déjà. Un ami venait de se faire plaquer par une très belle femme (selon ses dires) et de mon côté, une expérience récente me semblait avoir un point commun avec sa mésaventure. Mais lisez plutôt.

11h50. L’ami qui m’a appelé le 16 novembre vient de me téléphoner. À son récit de l’autre jour, il a éprouvé le besoin de rajouter quelques détails de sorte que je puisse juger plus précisément le silence de celle qu’il intéressa quelques heures.

Lorsqu’elle l’a appelé pour lui annoncer son désir d’en rester là, il a raccroché après lui avoir dit sur un ton sec qui laissait entendre sa déception: « Je suppose que nous ne nous reverrons plus; bonne soirée ! » Non pas adieu quand même; je le note. À cette phrase, il n’avait pas pu s’empêcher de faire suivre 5 minutes plus tard un texto qui disait en substance: « C’est la dernière fois que je raconte ma vie à une étrangère, pour ça…Plein le c… ». Puis vers minuit, il avait ajouté : » Déçu bien sûr, mais sache que si tu venais à réviser ta décision, je serais heureux de passer une soirée avec toi. À bientôt peut-être ». La belle n’avait rien répondu. Il l’avait  froissée. Quelle belle opportunité pour elle ! Elle pouvait désormais prétexter autre chose que sa raison initiale. Elle n’avait rien à regretter; mon ami était un impulsif qui lui avait manqué de respect. À mon tour, je lui racontai une histoire qui concernait ma relation éphémère avec un philosophe médiatisée:

Vincent Cespédès. Beaucoup d’entre vous n’en ont sans doute jamais entendu parler, mais il est connu dans le milieu des intellos. Je l’ai contacté il y a un peu plus d’un an. Sur son blog j’avais déposé un message lui disant que je cherchais à m’associer avec une personne comme lui, susceptible de travailler à la réalisation de PHILOSONG HUMANITAIRE (Philosong 2). Il avait tout de suite répondu présent.

Quel n’avait pas été mon étonnement, quand je l’entendis à la première conversation téléphonique se présenter comme « une machine à tubes ». « Je peux écrire tube sur tube » avait-il cru bon d’ajouter. Son expression était empressée, sa volubilité épuisante.

Quelques temps après, alors que j’étais depuis peu opposé à l’un de mes associés et que ce bon Cespédès m’avait déjà envoyé partitions, maquettes et m’avait fait écouter ses chefs-d’œuvre par téléphone, la personne avec laquelle j’étais en conflit , ne trouva rien de mieux que de lui envoyer un email en m’y décrivant comme un escroc dont il fallait se méfier. En fichier joint, elle m’avait fait parvenir la liste exhaustive de toutes les personnes auxquelles elle comptait faire parvenir cette révélation. Les philosophes ont oublié d’être sages! (j’appris plus tard qu’elle souffrait d’une maladie mentale).

Ni une, ni deux, le penseur professionnel m’envoie à son tour un courrier électronique dans lequel il me demande de lui expliquer la situation. Je la lui décris, mais rien n’y fait. À n’en pas douter, entre temps, cet homme avait compris que je n’avais pas le pouvoir financier de faire éclater au grand jour son génie musical et plutôt que de m’exposer franchement les raisons de son recul, il évoqua un « trouble » qui, désormais, ne pourrait se dissiper au point qu’il ne daigna plus jamais répondre à mes appels et à mes textos.

J’ai conservé la carte de visite pathétique qu’il m’a envoyée en même temps que son premier titre: « Travailler plus ». Dessus, il est écrit: « Voilà le tube »…

Tout comme pour mon ami qui s’est fait « ghosté » par une femme qui se serait accrochée à lui s’il avait eu une Porsche Cayenne, ce grand  philosophe, très épris de la gent féminine, m’avait donné congé sans avoir le courage de m’exposer la ra ison véritable de sa décision irrévocable.

Dans leur ensemble, les jeunes philosophes médiatisés d’aujourd’hui sont lamentables d’ambition, d’égocentrisme et de narcissisme. Ils n’en peuvent plus de leur intelligence et de leur beauté, et frayent autant que possible avec les gratins tous azimuts. La philosophie les intéresse moins que le pouvoir. Certains d’entre eux briguent même probablement des places politiques sans se l’avouer. Celui-ci est directeur de telle collection dans telle maison d’édition, celui-là chroniqueur dans telle revue spécialisée et celui-là encore animateur de radio quand chacun d’eux ne cumule pas toutes ces fonctions. La moindre de leur pensée, le moindre de leur ouvrage est immédiatement publié (auto-publié bien souvent). De même, l’Histoire de la philosophie n’est-elle possiblement (à quelques exceptions près) que l’Histoire des philosophes qui avaient le pouvoir de leur côté. D’où la pertinence de la « Contre-Histoire de la philosophie » de Michel Onfray.

Mon aventure avec Cespédès m’a déçu des jeunes philosophes sans me dévier de ma trajectoire. Ils n’y participeront tout simplement pas. De ces jeunes venus, Raphaël Enthoven s’est montré le plus courtois en répondant à plusieurs reprises aux emails que je lui ai adressés. Il ne peut évidemment pas se joindre à mon entreprise (beaucoup trop de travail, ce qui est vrai) et, qui plus est, il émet quelques réserves à l’endroit de mon innovation qui lui paraît être beaucoup plus au service de la musique que de la philosophie proprement dite. Il a eu la gentillesse de mettre un lien sur le site de FRANCE CULTURE vers le mien www.philosong.fr (qui m’a depuis été piqué par une personne non identifiable) pendant la période du baccalauréat 2009 et d’évoquer mon travail dans un de ses livres dédiés aux dissertations (avec la même réserve).

Raphaël Enthoven me paraît cependant être un homme de bonne volonté et je ne désespère pas de le rencontrer un jour. Charles Pépin quant à lui, à l’occasion d’une émission de radio sur RMC (animé par Jean-Jacques Bourdin) a défendu mon CD face à un professeur de philosophie qui le trouvait « parfaitement grotesque », mais n’a jamais tenu à me rencontrer non plus et ce, en dépit de mes tentatives. Il s’agit de ne pas se compromettre et de bien conduire sa carrière. Son dernier ouvrage: « Ceci n’est pas un manuel de philosophie » (Flammarion) est très bien réalisé, la présentation en est soignée, mais il contient beaucoup de « coquilles » qui laissent à penser qu’il l’a écrit à la hâte, sur commande probablement. Je ne l’ai lu qu’en diagonale et, aujourd’hui même, alors que je prenais mon bain dominical, je suis tombé sur une erreur grossière concernant sa définition du christianisme qu’il connaît vraisemblablement très mal. Selon lui, « Si vous êtes chrétien et croyez en un Dieu situé au-delà du monde et de nous, hors de portée de notre action et de notre connaissance: vous croyez en un Dieu transcendant. » (p 222). Ceci est parfaitement faux. Contrairement au judaïsme et à l’islam qui sont bien des religions de la transcendance, le christianisme quant à lui, est une religion de l’Incarnation, c’est même ce qui fait sa spécificité . Or, à ce titre, le christianisme ne peut être à tout le moins qu’une religion « théandrique » (Theos = Dieu, Andros = Homme) et donc semi-immanentiste, voire immanentiste tout court, dans un sens qui n’est pas celui des stoïciens bien entendu. Bref, à moins de faire du Christ un prophète, comme beaucoup le font (et c’est leur droit), l’illustration de l’opposition « transcendant/immanent » de Monsieur Pépin est erronée.

© Thierry Aymès

FOULE SENTIMENTALE

Oh la la !  La vie en rose

Le rose qu’on nous propose

D’avoir les quantités d’choses

Qui donnent envie d’autre chose

Aïe, on nous fait croire

Que le bonheur c’est d’avoir

De l’avoir plein nos armoires

Dérisions de nous dérisoires car…

1993 – L’année commence mal.  15 SDF meurent à cause du froid, dans les rues de la plus belle ville du monde selon certains. Le téléphone portable cellulaire fait son apparition ; il faudra vite l’acheter si nous tenons à être heureux. Pierre Bérégovoy lui, ne l’était pas, il se suicide, à moins qu’il n’ait été assassiné ; nous ne le saurons jamais. Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly-sur-Seine, ressort en héros d’une classe d’école maternelle, un enfant dans les bras, après avoir négocié avec le preneur d’otages Erick Schmitt, abattu quelques heures après par le RAID. Léo Ferré casse sa pipe ; il l’avait peut-être volée à son ami Georges Brassens qui l’a précédé de 23 années. La durée de cotisation retraite passe à 40 ans dans le service privé, mais aucune foule ne se presse dans les rues pour manifester.  En ce mois de juillet, elle a préféré les bords de plage aux pavés brûlants de la capitale.

Souvenons-nous de l’année où Alain Souchon déboula dans les médias avec J’ai 10 ans.  Cela faisait déjà longtemps qu’il« galérait » comme on dit.  A 28 ans, après moult pérégrinations et de nombreux coups-bas que la vie ne manqua pas de lui asséner, il avait déjà publié trois 45 tours qui n’avaient pas même rencontré le succès d’estime auquel bon nombre d’artistes sont voués ; un an plus tard, il avait été remarqué à l’occasion du Concours de La Rose d’Antibes où il emporta le prix spécial de la critique, ainsi que le prix de la presse, mais il dut attendre patiemment sa rencontre avec Laurent Voulzy en 1974 pour connaître la réussite et représenta avec quelques autres ce que les spécialistes appelèrent dès lors la Nouvelle chanson française.  Son style télégraphique, très éloigné de celui des auteurs de l’époque, ne lui valut pas que des éloges, mais il sut l’imposer progressivement à un public de plus en plus large et aujourd’hui, il est l’un des chanteurs à avoir été les plus récompensés aux Victoires de la musique en ayant remporté pas moins de 9 trophées.

Son titre « Foule sentimentale » dénonce à l’évidence les dérives de la société de consommation sans concéder la moindre parcelle de terrain au style habituellement préposé à ce genre de revendications, à savoir : le rock pur et dur.

Souchon et son compère, dès l’origine de leur collaboration, prendront le parti d’une variété sans agressivité.  Mais en l’occurrence, le propos n’en est pas moins corrosif et l’écrivain Michel Trihoreau alla jusqu’à écrire que sa chanson avait « certainement été plus convaincante dans la prise de conscience populaire, face à la consommation de masse, que les traités des sociologues et des économistes qui ne concernent qu’une petite minorité de la population ». En dépit de l’immense intérêt que nous portons au penseur que nous allons appeler à notre rescousse dans quelques lignes et dont la fonction consiste à conceptualiser certains traits civilisationnels le plus souvent regrettables, nous ne lui donnerons pas tout à fait tort.

En substance, que nous est-il dit dans ce titre qui, cette année-là, se vendit à plus de 200.000 exemplaires ?  Le bonheur passerait par la possession ; plus encore, il nécessiterait un détour par la consommation sans fin que d’aucuns, au bord de la société dans laquelle nous vivons, orchestrent en fins stratèges et à grands coups de publicités, par essence mensongères.  Les verbes « avoir » et« consommer » viennent en lieu et place des verbes « être »et « penser »,  et c’est ainsi que la consommation se substitue insidieusement à la morale.

Malheureusement un peu moins de 20 ans après, la situation n’a pas changé…elle a même empiré. A l’exception de quelques « décroissants » qui ont choisi de se désolidariser de ce lent naufrage, tout le monde court après ce qu’un Épicure aurait identifié comme des objets « non nécessaires » dans la mesure où l’on pourrait très bien s’en passer pour être heureux. Mais il faut croire que « La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire et les très grands capitalistes de notre époque ne l’ignorent pas. 

Il y a bien longtemps que les hommes ne sont plus libres de leurs désirs et réagissent aux signaux annonçant un nouveau produit parfaitement inutile à la manière du chien de Pavlov,nous y reviendrons.  Il faut avoir le dernier modèle de télévision, le dernier ordinateur, le dernier téléphone portable, la dernière tablette, alors même que leur obsolescence est programmée, et nous tombons tous dans le panneau tout en étant convaincus de ne pas y tomber.  Le pire étant peut-être que les habitants des pays dits « émergents » nous envient.  Et s’il n’y avait que la technique ! La littérature est « Paul-Loup Sulitzerée », entendons par là qu’elle est de plus en plus inféodée aux lois du marché, les corps sont « Claudia Schifferés » qui nous rendent coupables de « bourrelétisation »,tous les domaines sont touchés.  Nous voilà transformés en ventres compulsifs et sur le point d’oublier que nous sommes des « sentimentaux », non pas en quête de choses matérielles, mais d’amour et d’idéal.

Dans son livre polémique intitulé tout simplement : La société de consommation (1970), le philosophe et sociologue Jean Baudrillard (1929-2007) se montre beaucoup plus radical que Monsieur Souchon. Son style est précis et sans appel, sa lucidité documentée n’est rien moins que tranchante comme un scalpel.

Théoricien de la société contemporaine, selon lui, la société de consommation se caractérise par la production industrielle des différences.  Contrairement à ce que nous pourrions croire en y réfléchissante très vite, elle n’est pas le moyen pour les individus de satisfaire leur besoin.  Loin s’en faut !  Mais éclaircissons ce point !

Pour le dire différemment, la consommation de nos jours structure tout bonnement les relations sociales. Elle est devenue un moyen de distinction entre les individus qui s’expriment en achetant docilement et le plus souvent possible les produits que les publicités leur proposent puissamment.  En un mot, la consommation est un langage dont l’origine est à chercher du côté de notre sensibilité inquiétante à une « signalétique » et dont seules quelques personnes sont réellement bénéficiaires.

Explicitons ce point !  De même que nous ne pouvons discuter avec un feu rouge qui nous ordonne de nous arrêter pour céder le passage à d’autres automobilistes, c’est-à-dire, de même que nous sommes sommés de réagir par un comportement approprié à un signal sans ambigüité, nous nous comportons vis-à-vis des annonces publicitaires comme si nous n’avions d’autres choix que celui de suivre leurs commandements en achetant les produits qu’elles nous vantent habilement.   

C’est ainsi qu’en un sens, la société de ce que nous appelions naguère les réclames, nous déshumanisent en nous confisquant la dimension symbolique d’un langage spécifiquement humain, mais nous laisse par ailleurs la pseudo-liberté de manifester notre faculté d’être pensants et parlants en utilisant nos fraîches acquisitions comme autant de mots pour exprimer notre différence. 

LA SUITE DANS LE LIVRE…(LOL) « Des philosophe et des tubes »

© Thierry Aymès

SAINT ABANDON !

Pour ce qui est du lâcher-prise tellement à la mode de nos jours, deux mots. À cette notion qui résonne désormais comme une injonction et qui vient immanquablement du bouddhisme, je préfère celle d’abandon.

Alors que le lâcher-prise est relégué au rayon des thérapies, autrement dit du commerce, et nous indique le chemin vers un ego que nous aurions un temps délaissé, nous oriente vers une renarcissisation salutaire que l’acte paradoxal de « faire la planche » favoriserait, l’abandon quant à lui suppose une volonté, une maîtrise de soi inflexibles et… Une altérité. Entendez par là que l’abandon se fait toujours dans la direction d’un « prochain » et atteste du lien essentiel à l’autre qui nous structure, tandis que le lâcher-prise constitue une sorte d’effondrement sur soi que vantent les professionnels du bonheur.

Au 18ième siècle, le bonheur fut promu au rang de droit, aujourd’hui par un effet pervers lié à la dimension consumériste de notre société, il est devenu un « dogme, un catéchisme collectif » (Pascal Bruckner) auquel nous serions tenus de sacrifier.

Ne lâchez pas prise les ami(e)s, en lâchant prise vous vous soumettez à l’idéologie dominante qui nous décrit indépendants les uns des autres, à l’instar de ces T-shirts imprimés « 100% moi ». Nous ne sommes que « relation », l’individu est un mythe qui profite aux marchands.

© Thierry Aymès

L’EXTIMEMENT INTIME

« Aimer, c’est trouver sa richesse hors de soi » (Emile Chartier, dit Alain/1868-1951)

Cette citation m’en rappelle immédiatement une autre. « L’amour fait grâce à l’homme de s’appartenir hors de ce qu’il est » ; elle est de Joë Bousquet, un magnifique poète carcassonnais de la première moitié du 20ième siècle. J’avais 18 ans lorsque j’achetai mon premier livre de ce grand homme : « La connaissance du soir ». Dans une petite librairie du Puys-en-Velay. Je me souviens de Cathy qui m’y avait accompagné. Je ne l’aimais pas exactement. Elle était jolie. Je lui avais immédiatement préférais ce recueil. Je l’ai perdu et racheté combien de fois ?

Mais il s’agit d’Alain et de ce qu’il nous dit de l’amour. Il nous parle de richesse, mais de quelle richesse est-il question ? De celle que l’on ne possède pas bien sûr; de celle qui se dessine en creux. Juste un peu plus loin dans la phrase, il précise sa pensée « …je dis sa richesse intime… » Si j’osais, j’ajouterais « extimement intime » en ce que l’amour n’a pas de lieu où se substantifier.

Non ! ou plutôt oui ! L’amour nous rend paradoxalement riches d’être pauvres, c’est-à-dire sans dedans ; il est un pur dehors et nous rend riches de nous arracher aux grimaces d’un ego psychorigide : riches de n’être ni identité, ni crispation, mais vent… Une brise sur le visage de l’autre.

Là encore, pardonnez-moi, me revient une phrase de Sartre cette fois-ci ; une phrase qui ne parle pas de l’amour, mais de la… Conscience.

Ce qu’il en dit est étrangement semblable à ce que nous pourrions dire de l’amour : « …La conscience est claire comme un grand vent, [qu’]il n’y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi[1] »

Aimer, c’est trouver, sans l’avoir cherché, son salut dans une incessante course vers un ailleurs.

Aimer, c’est être ravi, au sens où le « ravi » est victime d’un rapt commis par un ravisseur ou bien plutôt par une « ravissante » ou un « ravissant » quel qu’il soit. Reste à se tenir toujours disposé à l’envol, au départ, au voyage, à la bohème.

[1] Situation 1, p.47 NRF Gallimard 1992, p.31-35

© Thierry Aymès

ONIRODORON

Aujourd’hui, permettez-moi de vous proposer un néologisme qui m’a été offert en rêve et qui a très probablement été inspiré par la trop souvent parfaite inutilité de certaines pratiques psycho-soignantes :

Amédessant (ou amédéorisant) : qui ne soigne pas, voire qui agrave l’état dans lequel vous vous trouviez avant que vous ne vous engagiez dans une thérapie.

Il semblerait que, jusque dans mon sommeil, j’aie visé une herméneutique précise que je ne prendrai pas la peine de nommer ici.

De cet adjectif, nous pouvons obtenir le substantif « amédessance »; un bien joli mot pour désigner une non-action, à moins qu’il ne désigne une action néfaste.

Le verbe « amédéoriser » a également son intérêt en ce qu’il est en quelque sorte l’expression d’une très pompeuse charlatanerie.

Quant à l’amédéoriste, il court de plus en plus les rues…

Merci la nuit pour cet onirodoron* (ou onirodore)

© Thierry Aymès

* Autre néologisme, diurne cette fois-ci, et signifiant « cadeau que m’a fait un rêve ».

SUM-SINE-SIC

Ne dites plus: « Je respire ». Nous ne respirons pas, si ce n’est abusivement, dans la langue. La respiration n’est l’acte de personne ; nous n’en sommes pas les sujets. Il est plus juste de dire: « Ça respire en moi », voire « Je suis respiré.e ».

Avoir conscience de cela est sans doute un premier pas vers ce qu’il est coutume d’appeler le divin et qui ne doit pas être une idée, mais une expérience. Au coeur de chacun.e de nous respire le plus grand que nous, le Tout-Autre, l’innommable, le Sujet inobjectivable, le Sum-Sine-Sic* ontique.

® Thierry Aymès

* Le Je suis aséitique, c’est-à-dire « incausé ». Le SSS.

LA HAINE DU TEMPS-QU’IL-FAUT

« Haïr, c’est assassiner sans relâche…» (José Ortega y Gasset in El Sol, 1926).

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. »  (Jean de la Fontaine : le lion et le rat, II, 11).

Il ne s’agira pas ici de proposer un monisme de plus dans la lignée de ceux qui ont tenté de réduire le monde à l’expression d’une seule substance originelle, je pense notamment en Occident au Conatus spinozien, à l’Esprit hegélien, au Vouloir-Vivre chez Schopenhauer, la Volonté de Puissance chez Nietzsche ou l’Elan Vital chez Bergson. La tentation fut pourtant grande tant il m’est apparu qu’un certain temps était régulièrement menacé, que ce soit sur le plan sociétal ou individuel.

Je me propose plutôt ici de soumettre à votre réflexion une thèse afin que nous tâchions ensemble d’en dérouler les conséquences théoriques ainsi que les possibles applications thérapeutiques. 

Pour le dire d’emblée, suite à une situation que je vous décrirai plus tard, j’ai pensé qu’il serait peut-être intéressant d’émettre  l’hypothèse suivante : « La violence à l’échelle individuelle ou la barbarie qui en est à mon sens de plus en plus souvent la froide expression technologique plongent leurs racines dans la ‘haine du temps-qu’il-faut’ que je baptiserai misochronie ».

Haine du temps vécu, du temps psychologique, juste après la pulsion initiatrice cependant.  Il m’aurait en effet semblé exagéré de présenter cette haine-là comme étant originelle, première.

Dans la mesure où toute psychothérapeutique sous-entend, sans la penser suffisamment, l’importance du temps-qu’il-faut  au sein de la cure, une chronagogie, voire une bradagogie (éducation par la lenteur volontaire) doit pouvoir en être dégagée, conceptualisée et donner conséquemment lieu à des activités  au sein desquelles la temporalité et sa vertu humanisante  seraient prégnantes.

1/ Position du contexte d’apparition de l’hypothèse qui orientera cette conférence :

A l’occasion du 4ième atelier, environ une heure après que nous eûmes commencé à nous questionner, un participant dit soudain sur un ton qui ne laissait subsister aucun doute quant à ce qu’il éprouvait : « J’ai faim ! » 

Je dus comprendre instantanément que la poursuite de notre réflexion était pour un temps compromise.

Deux autres se mirent immédiatement à découper des parts de gâteaux qui étaient disposés sur la table de sorte que  la douloureuse sensation de l’affamé cessât au plus vite.  Allez savoir pourquoi, nul doute que « dehors » les Quick, Mac Donald et autres sandwicheries furent créés à cet effet.

J’en tirai immédiatement une hypothèse de travail que je me donnai d’employer en tant que grille interprétative pour en tirer toutes les conséquences possibles.

Voici la thèse brute telle qu’elle m’est apparu tout d’abord: Les services de restauration rapide existent dans le but de réduire autant que possible le temps qui s’écoule entre l’injonction du ventre et sa résorption.  Ils ne cherchent plus seulement à faire cesser la sensation de faim, mais ils s’efforcent de la faire taire le plus vite possible.  Ce souci paraît généralisable à une part de plus en plus grande de la technologie moderne prioritairement tachophile.

Conceptualisation de la thèse : L’impératif des pulsions, des besoins et des désirs semble requérir dans sa brutalité, dans l’effraction douloureuse qu’il occasionne où qu’il surgisse, un apaisement-éclair, et ce faisant, jeter  la technologie à la recherche d’un anéantissement du temps entendu comme « écart entre le déroulement de deux événements », ici : l’apparition d’un désir et sa réalisation.

Comme je le signale plus haut, mon propos n’est pas de faire de la misochronie un énième monisme dont les événements du monde, quels qu’ils soient, ne seraient que l’effet, non ; il s’agit de démontrer autant que faire se peut la nécessité d’une culture du temps comme étant promotrice de l’humanité de l’humain.

Bien sûr, il y a la pulsion, celle qui est commune à tous les êtres vivants et qui assure tant la survie de l’individu que celle de l’espèce et sans doute est-elle première; mais cette pulsion n’est pas à proprement parlé humaine puisqu’elle ne l’est pas spécifiquement.

Tout de suite après ou parallèlement à la pulsion, tout homme pourrait en réalité ne désirer qu’une seule chose : revenir à l’état fantasmé d’avant sa naissance, d’avant le temps entendu comme écart entre l’apparition d’une pulsion et sa satisfaction.

Désir primordial d’un retour donc à l’état d’avant le temps-qu’il-faut pour faire taire sa faim une fois expulsé du ventre maternel ; d’avant le temps-qu’il-faut pour être en paix avec autrui; d’avant la conscience qui sépare plus qu’elle n’unit, d’avant le temps-qu’il-faut pour devenir un être humain.

***Désir d’une a-chronie et d’une a-topie hallucinées que, paradoxalement le milieu carcéral, idéalement et à son insu, s’évertuerait enfin à dénoncer en proposant à rebours d’une société fascinée par le rêve de l’immédiateté, un temps et un lieu d’humanisation, voire de sacralisation.

Car ce temps-qu’il-faut, s’il est assumé, mieux encore, s’il est souhaité (bradophilie) pourrait bien être, redisons-le, le facteur humanisant par excellence, quand son refus nous limiterait à l’expression impulsive de nos désirs, sans égard pour autrui et pour nous-mêmes.

Pour l’heure et depuis longtemps, il s’agirait plutôt de « tuer le temps » en tant que signe ostentatoire de notre misère, de notre reptation chronique. 

La technique et les hommes seraient-ils chronicides par essence ? La téléportation et la perfusion seraient-elles leurs objectifs ultimes ?

Viols, meurtres, agressions, colères en tous genres, mais aussi sciences technologiques ne seraient-elles alors que les symptômes d’une incapacité radicale à vivre le différé et la différance (avec un « a »)?

a)   Le différé de la réalisation d’un désir toujours impérieux.

b)   La différance de quiconque n’est pas moi, à commencer par moi-même (insupportable conscience).  

La différance entendue non comme antonyme de similitude, mais plutôt comme cela même qui, dans un vis-à-vis avec autrui ou dans la structure même de la conscience, semble nous condamner à l’ajournement et qui nous dispose en définitive et heureusement au temps-qu’il-faut, c’est-à-dire au bon temps, autrement dit à l’uchronie

Là où il n’y a pas le temps, il n’y a pas l’être humain.  Là où il n’y a pas le temps, il n’y a rien que la brutalité et la barbarie.

Répétons-le : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. »  Jean de la Fontaine.

® Thierry Aymès

LA RUSE DU DIABLE

Je me demande quand il sera clair pour le plus grand nombre que nous sommes les dupes d’un jeu dangereux dont nos gouvernants avec quelques dirigeants des très grosses multinationales sont les orchestrateurs. Apprendrons-nous la vérité un jour ? Je l’espère. Pour l’heure, les Etats de tous poils ont le pouvoir, par le biais des médias soit disant libres de faire passer pour des malades celles et ceux qui prennent le risque de dire certaines choses… Invraisemblables, c’est vrai.

Ne jamais oublier Baudelaire et ce qu’il écrivit au sujet du diable : sa plus belle ruse est de nous faire croire qu’il n’existe pas, et le grand peuple dont je suis est à 2000 lieues de s’imaginer ce qu’en soubassements, certaines personnes sont capables de fomenter pour des intérêts strictement matériels. Les politiciens ne disent JAMAIS la vérité tout entière; la diraient-ils que les citoyens seraient abasourdis et incrédules.

Quand l’humain n’a plus de valeur, voilà ce qui arrive, Quand la valeur travail cède le pas aux spéculations dématérialisées et à la logique de l’usure, le monde court à sa perte.

Je ne suis pas un expert pour ce qui est de ces questions, loin s’en faut; je ne m’y intéresse que depuis peu de temps, mais ce que je découvre est terrifiant. Moi qui suis depuis toujours intéressé par la poésie, la théologie, la philosophie, la littérature et l’art en général, je prends conscience jour après jour que nous sommes pris pour des idiots prompts à croire en l’humanité de ceux qui nous dirigent, et que nous avons grandement tort…

© Thierry Aymès