LA PHILOSOPHIE PEUT-ELLE SOIGNER ?

Vaste et délicate question à laquelle nous répondrons sans hésitation que c’est sans doute une de ses  vocations premières à condition que nous entendions le verbe « soigner » dans un sens précis. Nous devons cependant prendre des pincettes avec la notion de « soin » et l’appellation désormais contrôlée de « Psychothérapeute » (article 91 du 21 juillet 2009 et décret du 20 mai 2010)

Soigner donc ; entendons par là : « S’occuper du bien-être matériel et moral d’une personne ». En ce sens, la philosophie soigne bel et bien depuis son origine. Elle ne « traite » pas à la façon d’un médecin qui traiterait une maladie ou une plaie, mais elle se soucie de l’âme des hommes. Il n’est, entre autres, que de lire Épicure (….) et sa fameuse Lettre à Ménécée pour s’en convaincre.

À cette époque, l’hypothèse de l’Inconscient psychique était très loin d’être conçue et seule, la pensée logique et consciente tenait lieu de garant vers la paix. La Raison, pareille à un Deus Ex Machina garantissait l’universalité d’une pensée et ignorait la subjectivité individuelle. Ainsi pouvait-on comprendre, grâce au philosophe, que la mort n’était effrayante que par une fâcheuse erreur de raisonnement.  Mais, pour bien saisir son point de vue, encore faut-il connaître sa Physique d’où découle son discours rassurant sur la mort.  Nous comprenons alors que d’une conception strictement atomiste du monde dérive un mode de vie, une éthique.  D’une doctrine matérialiste, nous aboutissons ici à la certitude logique que la mort est une chimère et que seule la vie doit être notre préoccupation. Dès lors, « comment vivre sans souffrir et sans faire souffrir ? » restent vraisemblablement les seules questions d’importance donnant possiblement sur un hyper-épicurisme qui reste à penser.

Est-il donc absolument nécessaire de chercher à désamorcer son Inconscient subjectif ou, plus profondément encore l’Inconscient Collectif pour parvenir à la sérénité ? La question reste ouverte  ! 

Bien sûr, les lourdes psychopathologies ne sauraient relever d’une approche philosophique, mais bon nombre d’entre nous, plutôt stables affectivement, ne souffrent-ils pas d’une incohérence logique ou d’une couche limoneuse de présupposés trop docilement admis qu’il est bien souvent aisé de dénoncer, à condition de le vouloir et de prendre le temps nécessaire à cette tâche ?

Le langage courant charrie à n’en pas douter une kyrielle de présupposés dont nous ne  soupçonnons pas l’existence.  Ces présupposés, entendons par là, ces affirmations admises comme allant définitivement de soi, orientent sans conteste notre façon de penser, de questionner, ainsi que nos manières d’être et de sentir.

1/ L’objet des consultations philosophiques pourra consister à identifier chez celui que nous appellerons le consultant, au travers de ses opinions, de ses réponses plus ou moins spontanées, les présupposés non-avoués à partir desquels il fonctionne. Ce qui permettra de définir et creuser le ou les points de départ de son parcours logique.

2/ Dans un deuxième temps le consultant pourra prendre le « contre-pied de ces présupposés, afin de transformer d’indiscutables postulats en simples hypothèses » (Oscar Brénifier).

3/ Le consultant pourra articuler les problématiques ainsi générées au travers de concepts identifiés et formulés. C’est au cours de cette dernière étape, – ou auparavant si l’utilité s’en fait sentir plus tôt – que le consultant utilisera éventuellement des problématiques «classiques», attribuables à un auteur, afin de valoriser ou mieux identifier tel ou tel enjeu apparaissant au cours de l’entretien.

Il s’agira alors d’inspecter ce sur quoi nous nous sommes innocemment édifiés en tant que sujets et de poser les bonnes questions dans le but de valider ou non notre assentiment.

Qui, par exemple, pourrait contester qu’une infrastructure judéo-chrétienne préside à notre façon d’aimer, à notre vision de l’amour à laquelle les notions de fidélité et de famille semblent être indissociablement accolées ?  Même les plus grands mécréants pourraient très bien continuer de colporter cette représentation deux fois millénaires au point de la confondre avec une évidence dont notre affectivité même ne serait que l’épiphénomène insoupçonné.

Sentons-nous, éprouvons-nous avant de concevoir ou est-ce plutôt l’inverse ? Question métaphysique s’il en est qui n’est pas sans rappeler la circularité de la question mettant en scène l’œuf et la poule.

Nombre d’athées ne parviennent que très superficiellement à déloger leur judéo-chrétienté en ne proposant leur transformation qu’à un niveau politique. Mais que serait-il advenu si Spinoza et sa conception du Désir étaient chronologiquement arrivés avant Platon ?  Et ne fut-ce pas le cas en un sens ? Ces questions ne sont pas inintéressantes.

N’est-il pas vrai que la substitution de l’héliocentrisme au géocentrisme eût pu arriver bien plutôt si les conjonctures et les configurations politiques n’avaient pas interdit toute transformation ?

Pythagore semble avoir conçu la rotation de la Terre sur elle-même en même temps qu’autour du soleil bien avant Copernic et Galilée, il en fut de même pour Aristarque de Samos ; or, le géocentrisme ne succomba vraiment qu’au début du 17ième siècle et nous l’évoquons encore et toujours au gré de certaines expressions courantes comme: « Le jour se lève. » et « La nuit tombe. ».

C’est à partir de clichés aussi simples que ceux-là que la consultation philosophique se donne d’officier.  Immense labeur qui n’est pas sans danger me direz-vous, certes, et pour cette raison, une thérapie philosophique ne s’adresse qu’à une catégorie de personnes suffisamment stables et fortes pour envisager le travail, car il s’agit bien d’un travail.  

Mais n’en va-t-il pas de notre liberté même, de notre capacité à ne plus subir le poids d’un prêt-à-penser absolument impersonnel qui fait le jeu du Pouvoir ?

Heureux est donc le temps où nous vivons qui nous autorise la liberté de penser (de moins en moins) et de proposer ce que nous pensons à qui veut bien l’entendre ! 

Heureux est donc le temps où nous pouvons nous lever du limon où l’impersonnalité d’une pensée réflexe nous tient prisonniers !

La consultation philosophique part donc du principe que tout un chacun se voit ordinairement aliéné dans une phraséologie  aux allures gaillardes et se donne de rendre au consultant sa puissance créatrice en même temps qu’organisatrice. Elle n’a pas pour objet la mise au grand jour du « continent noir » que dénonce Freud, mais vise cependant à rendre tel locuteur conscient, autant que faire se peut, de ce qu’il met en mots.

Contrairement à l’idée reçue, sans doute faut-il s’écouter parler pour savoir ce que l’on dit.

© Thierry Aymès

DÉSIR CONTRE DÉSIR

Lorsque deux êtres se rencontrent, il est remarquable que la personne qui aime le moins impose généralement à l’autre le pas de la relation.

La première dit à l’autre :

–         J’aimerais beaucoup que nous nous voyons ce soir !

La seconde répond :

–         Non, pas ce soir ! (en invoquant telle ou telle raison plus ou moins recevable).

Et celle qui est la plus éprise se voit dans l’obligation d’accepter la volonté de celle qui l’est le moins.

Idéalement, dans un désir d’accord tout rationnel, les deux amants pourraient se lancer à la recherche d’un compromis.  Par exemple, une conversation téléphonique de quelques minutes, à tout le moins, contenterait possiblement l’un sans trop obliger l’autre ; encore faudrait-il  que chacun soit convaincu de l’existence et de la valeur d’une « volonté d’aimer ».

Mais vouloir aimer, pour une grande majorité, n’est pas aimer.  Aimer appartient exclusivement à l’ordre sentimental.  Or, en ce sens, celui qui aime n’est pas sujet de son amour, mais bien objet et pourrait en définitive refuser tout simplement l’advenue d’un « je » qui le chargerait de transformer en une responsabilité ce qui se présente dans un premier temps comme un don ne requérant aucune participation de celui qui le reçoit.

Cependant, pour la personne la moins éprise, dire « oui » à celle qui lui fait part de son souhait, correspond à un effort qu’elle ne veut pas faire et, ne voulant pas faire cet effort, elle demande implicitement à l’autre d’en faire un.  Si la plus aimante refuse à son tour de le faire, c’est à coup sûr la dispute, voire la rupture.

Quel est l’effort que doit faire la personne la plus éprise ? 

Celui qui consiste à gérer la frustration qu’occasionne le sentiment amoureux sans symétrie (cette absence de symétrie que le ou la frustré(e) a le plus souvent tendance à considérer plus radicalement comme l’autre nom de la non-réciprocité); celui de « se faire une raison », de convertir sa contrariété en autre chose, si elle ne tient pas à trop souffrir de la situation.

Le pouvoir est donc du côté de celle qui aime le moins

De là, nous pouvons conclure que le pouvoir est du côté de celui qui n’a pas à convertir son désir en autre chose et peut l’exprimer directement, comme il se présente. 

La « sublimation » freudienne, en ce sens, est l’apanage des plus aimants, elle est le signe d’une impossibilité à imposer son désir dans la barbarie de son élan, et c’est sans doute mieux ainsi.  Sans la sublimation, et toujours selon le père de la psychanalyse, point de cultures, point d’institutions.

Il est amusant de penser que le monde, tel que nous le connaissons, dérive peut-être d’un amoureux contrarié face à un barbare.

© Thierry Aymès

« R » COMME RATIONALISATION

(Réflexion inspirée d’une histoire vraie)

En psychanalyse, 2 concepts me paraissent éminemment discutables, voire dangereux :

a)      Celui de rationalisation.

b)      Celui de résistance.

Je m’intéresserai pour l’heure au premier.

Rationalisation : Disons d’emblée que, malgré son cousinage étymologique avec le mot « rationnement », nous commettrions une grossière erreur si nous les confondions. Rationaliser ne consiste donc pas dans le fait de limiter des quantités de quoi que ce soit.

À ma connaissance, ce terme a été introduit dans le vocabulaire psychanalytique par Ernest Jones vers 1910 (à vérifier).

On a coutume de nommer  rationalisation le processus par lequel  telle personne considère comme des choix personnels dictés par une attitude consciente, dictée par la raison et libre, ce qui est plutôt le résultat d’un désir inconscient…

Que penser alors d’une psychanalyste que par commodité nous appellerons Hannah, et qui prétend connaître très précisément les raisons pour lesquelles elle est irrésistiblement attirée par une personnalité médiatique dont elle imagine pourtant aisément l’insupportable égocentrisme ?

Que penser de ces propos lorsqu’elle affirme : « Je ne suis pas dupe, mais j’ai envie de me payer ce petit plaisir ! ». Entendez par là qu’elle a terriblement envie de coucher avec lui (ou elle).

Etant donné sa profession et les études qu’elle a faites, il est certain que son argumentation ne serait pas défaillante…

Sans doute dirait-elle des choses du style : « Je sais ce que je fais, je l’assume.  C’est une histoire entre deux personnes adultes et consentantes ; le fait qu’il (ou elle) m’ait dit qu’elle  n’avait qu’une heure à me consacrer n’est pas humiliant, c’est un homme très sollicité tellement il est brillant, et puis… Je suis libre de faire ce que je veux avec mon corps etc. »

Or, si la rationalisation est pour finir la justification déformante d’un désir inconscient, redoutable pour le sujet, d’une pulsion inavouable, (d’où l’expression : « elle ou il se raconte des histoires ! »), ne suis-je pas autorisé à penser qu’Hannah, ce disant, rationalise son désir sans être parvenue une seconde à s’extraire du piège où elle retombera toujours… Avec son consentement ? Ne puis-je pas penser qu’elle refuse tout bonnement de s’avouer être le jouet de ses pulsions ?

Le consentement en question, même lorsqu’il est intelligemment défendu, ne pourrait-il pas être, selon la psychanalyse elle-même, un travail de déformation salutaire pour qui ne veut, voire, « ne peut » plus s’avouer qu’il ne parvient pas, en l’occurrence, à résister à son désir sexuel  ?

Il apparaît alors clairement que la psychanalyse peut voler au secours de cela même qu’elle dénonce en proposant une argumentation substantielle à qui ne parvient pas à se rendre maître de ses élans.

Allons même jusqu’à penser que l’édifice psychanalytique tout entier pourrait être tenu à raison pour ce que les spécialistes eux-mêmes appellent un « délire compensatoire ».   

Qu’en pensez-vous ?

© Thierry Aymès

LA VIE SE CACHE

Hier, j’ai surpris un gecko en train de s’enfuir à mon approche. Je ne lui voulais pourtant aucun mal. J’en ai immédiatement conclu que la vie fuyait la vie… Dans le but de se prolonger le plus possible. La vie, au travers des vivants qui la manifestent, de tous ces êtres, petits ou grands, de toutes ces entités vibrantes et qui en sont l’expression. La vie se soutient paradoxalement de se fuir.

Partout autour de vous, vous verrez la vie se cacher, se retirer, se faire discrète autant que possible, autant qu’il se peut pour se maintenir en son état.

Pour peu que vous ayez à faire à une vie sauvage, c’est une évidence, la vie a peur par nature. Elle pressent le danger qu’il y a à se laisser approcher… Par elle-même.

Les oiseaux s’envoleront si vous vous dirigez vers eux et même les plus puissants des animaux ne vous sauteront dessus que s’ils n’ont pas le choix, poussés qu’ils seront par un vouloir-vivre.

La vie se terre pour se garantir une durée maximale. Elle est, étrangement, son propre péril, et se mange, et se nourrit d’elle-même,  et se tue,  et ressuscite de ce meurtre que l’on dit « sacré ».

Dès lors est-elle tout autant la mort.

Et sans doute est-ce de ce cercle vicieux « biologique » que certains êtres humains entendent s’extirper en visant un ailleurs dont ils disent à chaque pas le souhait.

Une vie a-biologique, une vie spirituelle dont la mort serait l’absente.

© Thierry Aymès

MÉDÉANIMISTE

Le 26 avril 2020, Thierry Aymès a choisi cette nouvelle dénomination pour mettre l’accent sur une « posture psycho-soignante » qu’il a décidé d’inaugurer et qui a pour spécificité majeure de prendre soin de ses patients en souffrance psychique tout en respectant leurs moyens financiers.  Toute personne poussant sa porte fixera elle-même le prix de sa séance et le troc, dans certains cas, sera envisageable; elle pourra également décider de sa durée, ainsi que de sa fréquence

Aucune approche psychothérapeutique ne pouvant se vanter de posséder la clef universelle des innombrables troubles psychiques que nous connaissons à ce jour, la médéanimie est une pratique ouverte à toutes les autres sans aller jusqu’à faire de l’une ou l’autre une priorité exclusive.   ​​​​​​​​​​​​​​

Outre le soin que le praticien se doit d’effectuer par son esprit sur celui de son patient, chacune de ces deux dénominations, sous-entend comme l’entremise d’une « lumière » à peine audible étymologiquement puisque, aussi bien le « dé » latin de Mé-dé-animie que le « th » grec de Psych-thé-rapeute pointe vers une présence discrète que d’aucuns appelleront « Dieu » (du radical indo-européen commun « Dy-eu ») dérivant lui-même de « di » (briller, soleil, jour, dieu) qui l’apparente à « Divus » (divin).​​​​​​​

Thierry Aymès dit bien « Dieu-Lumière » et ne fait en aucun cas allusion au Dieu dogmatisé des religions, quelles qu’elles soient, et dont on connaît de mieux en mieux l’architecture politicienne et les accointances avec les pouvoirs… Tristement terrestres.

Par ailleurs, le médéanimiste connaît la différence trop souvent ignorée entre « soigner » et « guérir ». Thierry Aymès propose une distinction conceptuelle intéressante entre ces deux postures. Voici ce qu’il en dit : « Soigner, c’est-à-dire chérir une possibilité, cultiver une promesse, faire advenir ce qui sommeille en chacune des personnes qui frappent à sa porte et dont la retenue, l’étouffement, constitue un problème, un obstacle. Soigner revient à choyer ce qui couve, ce qui est discrètement vivant et ne demande qu’à croître jusqu’à devenir un heureux embrasement. Soigner, c’est dire encore, conduire le consultant au-delà de sa peine en veillant à ne pas le faire revenir à son état psychique d’avant elle ; ce qui reviendrait à l’exposer à une rechute. Bien sûr, il ne s’agit pas d’éteindre le mauvais feu, l’incendie destructeur, mais de le réduire jusqu’à ce qu’il redevienne braises.

Et si par guérison, nous devons entendre un retour à celui que fut le patient, alors sans doute est-il préférable de ne pas le guérir et de tenter plutôt la mutation de son désordre psychique en une calme réorientation qui le portera au-delà de son passé dans un présent re-virginisant ».

Convaincu que tout un chacun doit avoir la possibilité d’accéder à ce type de soins sans pour autant se désargenter et considérant que les séances sont en règle générale beaucoup trop chères ( 60 euros en moyenne les 50 mn, soit 1,20 euro la minute) pour la très large part des citoyens de notre pays, Thierry Aymès a donc choisi de se positionner différemment au nom de celles et ceux qui jusqu’alors n’ont pu être entendu(e)s.

​​​​​​​Très bonne journée à toutes et tous. ​​​​​​​ 

© Thierry Aymès

https://www.bod.fr/librairie/la-medeanimie-thierry-aymes-9782322206339

LÀ QUAND ?

Première lecture. Rien compris. Deuxième et troisième non plus… Si ce n’est que Monsieur s’amuse comme il l’a toujours fait face à un public sorbonnard conquis d’avance. Point n’est besoin de le voir apparaître col mao et nœud papillon savamment combinés, un Culebra* au bec dans tel ou tel lieu prestigieux parisien pour comprendre qu’il se moque du monde le plus sérieusement possible.

Et pour celles et ceux qui ne savent pas ce qu’est le « passé défini », sachez qu’il s’agit du « passé simple » que les années soixante-dix se sont efforcées de pénaliser dans la mesure où il était d’expression d’une classe sociale par trop favorisée. Quant au « parfait », si vous êtes germanophone, vous n’ignorez pas qu’il est l’équivalent du passé composé. Si, par ailleurs, vous êtes latiniste ou helléniste, ce sera encore autre chose (de bien plus subtil bien sûr). Bref…

Vous avez tout l’été pour commenter ce texte du très abordable Lacan. Sans doute a-t-il poussé la théorie freudienne un peu plus loin, mais pour ce qui est de l’efficacité de l’analyse spécifique qui en découle, je doute fort qu’il l’ait renforcée; à moins que ce ne soit exclusivement du côté des psychotiques. Cependant, il est très enorgueillissant de pouvoir se dire lacanien, et cette appartenance nous autorise même à mépriser ceux qui ne le sont pas.

Quand je pense qu’il y a des praticiens qui abordent les problèmes existentiels de leurs patients avec cette écoute-là… Je me dis qu’il y a de quoi s’inquiéter.

© Thierry Aymès

* Cigare cubain et tordu à l’image du personnage.

PROMESSE & IMPERMANENCE

Si comme le prétendent les bouddhistes, l’impermanence est la loi, alors qu’advient-il de la promesse, de la parole donnée, de la fidélité, quel que soit son objet ? C’est la question que je me pose aujourd’hui.

Promesses, paroles données et fidélités ne sont-elles pas autant de défis lancés à cette impermanence ? Ne sont-elles pas comme l’intuition d’une réalité que l’homme se doit de faire advenir par-delà la fluctuation des apparences?

À ce jour, je ne suis pas bouddhiste, et notamment pour cette raison.  Je crois à ce qu’il convient de créer, quitte à ce que cela demande effectivement un effort colossal. Je pense à Thalès qui s’interroge et demande en substance ceci : « Qu’est-ce qui persiste derrière tout ce changement ? ».  Car ne faut-il pas que ce changement soit le changement d’une réalité inaltérable ? De même, l’identité de chacun ne se perpétue-t-elle pas au travers des variations psychologiques et émotionelles que nous connaissons tout au long d’une vie ? Pourquoi en irait-il différemment de la réalité ontologique* ?

En promettant ceci ou cela, je promets avant tout d’être plus fort que ce qui pourrait me faire changer de cap. En donnant ma parole, je parie que rien ne pourra me détourner de ce don. En choisissant d’être fidèle, je pose l’existence d’un lieu en l’homme, suffisamment en retrait pour me soustraire aux fluctuations dès lors superficielles.

© Thierry Aymès

* Qui concerne l’Être.

ELLE S’ÉTEINT

Il me dit qu’elle s’éteint, qu’elle n’a plus le même éclat. Ces temps-ci, il lui arrive de regarder quelques photos au hasard. Il ne lui aura fallu qu’un peu plus de 2 années pour la défigurer. Il faut dire qu’il n’y est pas allé de main morte. Au nom de l’honnêteté, il lui a dit ce qu’il aurait dû taire, ce qu’il n’a pas su garder silencieux. Tout y est passé : son corps, son âme.

Il est malade… De cette maladie que certains appellent l’intelligence. Elle a bon dos l’intelligence quand elle piétine l’amour le plus simple… Le moins réfléchi ! À s’y méprendre, elle ressemble à la haine. Alors, Marie se révolte de temps à autre. Sans vraiment croire à sa colère. Elle sourit toujours un peu après avoir crier.

Se rend-elle compte qu’il la déchiquette chaque jour un peu plus ? Non, je ne le crois pas. Mais pour l’instant, il n’y peut rien. Il s’en veut. À l’en croire, elle l’aime… Avec ses épines… Bien plus nombreuses que ses pétales. Si ce n’était son parfum par intermittence, il y a longtemps qu’elle serait partie. C’est ce qu’elle dit. Elle ne sait pas pourquoi elle l’aime, c’est bien la preuve qu’elle dit vrai quand elle lui dit : « Mon amour! ». Il l’envie.

Il n’a pas la force de la quitter. Il sent confusément qu’il perdrait gros. Les anges ne courent pas les rues… Même s’ils sont bourrés de défauts. Alors, il lui arrive de prier. « Christ, donne-moi la paix ! ». Quarante ans que ça dure. Il pleure. Je le regarde et me tais.

© Thierry Aymès

SI VIEILLESSE…


De nos jours, soyons-en conscients, la vieillesse est moins vendeuse que la jeunesse. À une époque où l’économie de marché fait loi et dame le pion au politique, il convient sans doute de redoubler de vigilance à l’égard de celles et ceux qui nous ont précédés sans quoi, très vite, peu pourrait importer que nos aïeux aient traversé des milliers d’épreuves ou accumulé des montagnes de sagesse. Dans la mesure où ils portent sur leur visage la signature du temps, dans la mesure où leurs pas disent tout haut leur fatigue et préfigurent la fin du voyage, ce pourrait être assez pour qu’ils ne soient plus la « priorité » de personne.
L’expérience compterait-elle moins que la fougue et la connaissance moins que l’ambition ? La vie serait-elle mal faite au point que jeunesse et vieillesse ne pussent envisager un mariage heureux ? Monsieur Estienne paraît en douter. « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » ! soupire-t-il. Ces épousailles ne sont-elles pas le rêve où s’origine le défi scientifique ultime ? La quête faustienne et prométhéenne d’une éternelle jeunesse éclairée cependant par cela seul que la vieillesse est susceptible d’apporter ?


De l’ignorance initiale à l’impotence cruelle, nous irions donc, implacablement. Mais qu’y a-t-il à « savoir » que l’auteur semble regretter de ne pas avoir su à temps ? Que faudrait-il encore « pouvoir » que l’on ne peut plus accomplir, alors que l’on sait enfin ?

Sans doute répondrait-on rapidement que la jeunesse ne sait pas qu’elle est aux prises avec ses illusions, quand la vieillesse ne peut plus vivre sa lucidité. Sans doute manque-t-elle de cette expérience devenue vaine à un âge où l’on est plein d’avoir vécu certes, et cependant incapable de vivre sa science.

Mais la jeunesse et la vieillesse vont-elles de soi ? Suffit-il de se référer à l’âge objectif de tel individu pour le ranger d’un côté ou de l’autre de la vie ?

Il n’est que de se rappeler la très célèbre phrase de Picasso pour ne pas répondre précipitamment à ces questions: « On devient jeune à soixante ans ». Ouf ! La jeunesse, tout comme la vieillesse, ne serait possiblement pas un fait. Elle serait à gagner… Mais je me dois d’être honnête et d’ajouter l’autre moitié de la citation qui satellise le peintre espagnol dans la périphérie de l’écrivain parisien : il écrit : « Malheureusement, c’est trop tard. ». Décidément ! Mais trop tard pour quoi ?

Parce qu’à bien comprendre ce cher Pablo, il y a la mort et que l’on est jeune, dans le meilleur des cas, quand notre corps lui, ne l’est plus. Parce que l’on est jeune encore quand on s’est débarrassé de tout ce qui nous a permis de grandir et qu’il court à rebours de notre élan ; quand in extremis, il ne reste plus que soi, enfin, par-delà les masques, les jeux et les conditionnements sociaux. En ce sens, la jeunesse résulterait d’un processus de libération, d’un décapage volontaire, mais ne suffirait pas à conjurer notre finitude. Cessons donc toute mystification et tâchons de répondre simplement à la question suivante :

« A partir de quand sommes-nous vieux ? »

Quand le corps ne permet plus à notre fougue de faire loi ; quand, en dépit de notre vœu le plus cher, nous sommes irrémédiablement pris dans un ultime reflux qui interdit l’immortalité. « Encore faut-il donc que fougue il y ait !» me direz-vous. Encore faut-il que désirs se fassent entendre, et désirs d’un certain ordre, pour éprouver la douleur de ne plus être capable de les accomplir. C’est vrai. Si certains désirs ne se font plus pressants aux alentours d’un âge certain, la peine de ne plus pouvoir les concrétiser ne pèse plus. Si souffrance il y a, elle est d’un décalage, d’une inadéquation entre la vigueur d’une fièvre et l’aveu d’impuissance d’un corps fatigué. L’athlète qui, passé cinquante ans, s’acharnera à battre le record du monde du cent mètres fera preuve de bêtise, de même le joueur d’échec dans son domaine. C’est à ce point précis que la philosophie peut être salutaire. En tant qu’elle peut nous apporter la sagesse, à la suite d’une analyse rationnelle de notre condition. Qu’est-ce à dire ?

Que le rationnel conditionne le raisonnable, qu’une mauvaise approche de soi est bien souvent responsable de notre malheur. Que Monsieur Henri Estienne n’était pas philosophe dans la mesure où il semble affecté du fait même de sa condition de mortel. S’il regrette que la vieillesse « ne puisse plus » alors qu’idéalement il serait bon qu’elle pût encore, c’est qu’il ne sait peut-être pas qu’il existe un art de vivre au présent qu’il s’agit d’observer, en même temps qu’un génie propre à chaque période de la vie qu’il s’agit de respecter .
Toutefois, jusqu’à ce que le corps ne caricature la prison qu’il est d’emblée selon certains, nous pouvons tout aussi bien feindre de ne rien savoir de sa décrépitude et briller autant qu’il se peut jusqu’à mourir foudroyé, comme pris par surprise, à la façon de Molière qui tira sa révérence au sens propre et au sens figuré, en s’effondrant sur scène.

Mais voilà que je me suis égaré à partir d’une simple citation que j’ai crue opportune. C’est que je dois être, sinon vieux, à tout le moins en passe de le devenir. Je persiste et signe pourtant en espérant, au vu de la très célèbre phrase de Monsieur Estienne, qu’une parité jeunes/vieux s’incarne dans le corps politique et que de très sensibles efforts financiers soient faits à l’égard des structures qui accueillent nos aïeux infortunés. Dans ce cas précis, ne confondons pas l’énergie avec la vie Et ne tenons pas la jeunesse pour une valeur.

Quand la première est portée par un avenir qu’elle suppose à sa disposition, quand elle s’origine dans l’égocentrisme, l’ambition d’un quidam et donne libre cours à tous les affrontements, toutes les dissonances humaines, la seconde n’est que ce qu’elle est, ne se soutient que d’elle-même et c’est en cela qu’elle est « sacrée ». N’en déplaise aux adeptes du « politiquement correct », nos vieux sont nos garde-fous, notre caution contre la bêtise, notre raison pratique…

                    *******

Thierry Aymès

UNE MISE AU BAN

Pour donner suite à deux textes, à savoir : « Quel leurre est-il ? » et « L’heure du leurre ».

Sans doute, les animaux humains se distinguent-ils des non-humains par le sens qu’ils donnent et ont semble-t-il besoin de donner à la vie pour vivre. De fait, ne pas ou ne plus en trouver les conduit le plus souvent à l’autodestruction, la dépression ou la mort. D’où nous pourrions conclure que le sens donné à la vie pourrait être à son tour une ruse que la vie se donne à elle-même pour se perpétuer. Son propre étant de vouloir persévérer dans son être, sa forme spécifiquement humaine est le sens que nous lui donnons. Bien entendu, ce dernier diffère selon les individus. Telle personne peut vouloir vivre pour voir ses enfants grandir jusqu’à devenir eux-mêmes parents et, pourquoi pas, grands-parents. Elle peut se lever chaque matin pour réaliser son plan de carrière ou diriger une association, quel que soit son objet. Ne pense-t-elle qu’à elle tout au long de la journée qu’elle existe encore sous l’injonction d’un sens dont elle est le centre… Elle peut tout aussi bien s’efforcer de faire advenir dès ici-bas un monde dont elle pense qu’il suivra à coup sûr celui-ci. Nous pourrions multiplie ainsi les exemples à l’infini.

Il est à noter cependant que tout sens est conditionné par son objet et que tout objet fait sens, y compris s’il va contre la vie, non pas de soi, mais d’autrui. D’où telle personne peut se lever volontiers chaque matin dans le but de détruire son voisin, sa femme, les habitants du frontalier, son banquier ou que sais-je encore.

Ainsi sommes-nous des êtres de sens, mais, a priori, de tous les sens.

À y regarder de plus près, si nous ajoutons un paramètre à notre spécificité, à savoir notre « essentielle sociabilité », notre fondamentale « relationalité », peut-être pouvons-nous dès lors concevoir la mise au ban des « objets- faisant-sens » criminels.

En effet, chacun de nous ne s’est premièrement appréhendé et connu qu’à travers le regard de l’autre. Il se pourrait même qu’il ait appris par cœur le discours de cet autre à son endroit. Je suis ce que maman et papa (où toute personne significative) disent que je suis. Dès lors, l’individu n’est-il plus qu’un carrefour, qu’un entrelacs principiel, un « point relationnel » qui plus est imaginaire, bien plus qu’une entité qui ne se devrait qu’à elle-même.

C’est à cette dernière condition que nous pouvons dire que se lever le matin dans le but de détruire quiconque est un dessein criminel et suicidaire à bannir, alors même qu’il fait sens.

© Thierry Aymès