Il est habituel d’entendre dire çà et là qu’une personne de 40 ans votre aînée sera toujours à cette même distance de vous, quel que soit son âge. À première vue, le raisonnement est indiscutable, mais à s’y prendre autrement, permettez-moi d’attirer votre attention sur une bizarrerie à laquelle nous conduisent les mathématiques les moins subtils :
Pour simplifier nos calculs, supposons que votre enfant soit né le même jour que vous, à la même heure, en 2001 et qu’exceptionnellement vous ayez 40 ans de plus que lui. Un jour après sa naissance, vous aviez 14610 fois son âge (365 jours X 40 années + 1 jour à chacune des 10 années bisextiles entre 1961 et 2001, soit 10 jours supplémentaires). Lorsqu’il atteignit sa première année, vous n’étiez soudain plus que 41 fois plus âgé que lui. D’ici peu, vous auriez 60 ans et votre enfant 20; vous n’auriez alors plus que 3 fois son âge et 20 ans plus tard, seulement 2 fois.
Une fois centenaire, vous n’auriez plus qu’à multiplier son âge par 1,666666666666667 (100 : 60) pour obtenir le vôtre et, pour aller brusquement bien au-delà de notre espérance actuelle de vie, à 1000 ans par 1,041 (1000 : (960).
Posons à présent qu’arbitrairement nous nous en tenions comme précédemment à 3 chiffres après la virgule, il vous faudrait atteindre 100000 ans pour que votre enfant ait le même âge que vous, puisque nous obtiendrons 3 zéros après la virgule qui suit le chiffre 1 (100000 : 99960). Or, multiplier un chiffre par 1, 000, autrement dit par 1, équivaut à ne pas le multiplier du tout.
De ce qui précède, concluons qu’il vous aura donc été parfaitement impossible de le concevoir.
Quel que soit le nombre de zéros après la virgule que nous décidons, il viendra toujours un moment où, en relation avec le nombre d’années choisies, le chiffre 1 s’imposera et rendra impossible la naissance postérieure à vous-même de votre propre enfant.
Toutefois, si nous raisonnons en considérant l’Infini dont on conçoit aisément qu’il est dynamique par essence, il y aura toujours un résidu infinitésimal qui interdira une parfaite coïncidence entre votre enfant et vous-même puisque l’essentielle ouverture de l’Infini donne toujours à ce dernier un temps d’avance et ne nous permet pas d’arrêter un nombre de zéros après la virgule.
En résumé, d’un point de vue humain, puisque notre espérance de vie n’est que de 80 ans environ, vous aurez un jour, si Dieu le veut, 2 fois l’âge de votre enfant et pourrez à plusieurs titres prétendre en être le père (ou la mère); mais si, tout en prolongeant imaginairement vos vies, nous arrêtons le nombre de zéros après la virgule en priorisant de fait le Fini sur l’Infini, nous parviendrons nécessairement à une impossibilité logique de procréation de « qui » que ce soit.
Puisqu’il semble évident que nous soyons, en même temps que le monde où nous sommes, allons donc jusqu’à dire que l’existence de l’homme et celle de Dieu lui-même ne sont possibles qu’aux mêmes conditions. S’il n’était infini, et n’était en quelque sorte condamné à une in-coïncidence avec lui-même, un débordement perpétuel, Dieu n’aurait pu créer « quoi » que ce soit. Sans l’Infini envisagé dans son essentielle outrance, il n’y aurait rien… Qu’une pure coïncidence de l’Être avec lui-même, autrement dit sans relation à l’autreté et sans possibilité d’aimer.
Chez les Chrétiens, la venue de Christ sur terre en tant que Dieu lui-même ne résulte que du dynamisme divin dont le propre est d’être une pure transcendance, un éternel au-delà sans contenu que la Mort ne saurait atteindre du fait même de sa vacuité qui le constitue pourtant.
C’est donc bien à considérer l’Infini comme paramètre essentiel que vous devez envisager la naissance de votre enfant comme de tout le reste. Sans l’Infini rien ne serait, pas même ce rien que le concept de Néant fait exister fautivement.
Le Néant n’est pas, et ce, radicalement, c’est-à-dire sans concept. Seul est ce qui est par la grâce d’un éternel excès.
© Thierry Aymès